Frères Lumière

Frères Lumière

Tout comme les «images animées » de la fin du XIX siècle n’ont pas pu supprimer le livre et les journaux, aujourd’hui la télévision, la vidéo et Internet ne réussissent pas à abolir le cinéma. Bien résistant à l’omniprésence des médias électroniques, il se distingue de ces derniers par le support matériel, la bande perforée aux images obtenues photochimiquement. Né au cours des expériences des chercheurs français, anglais et américains, le cinéma demeure un art tant que les hommes cultivent le besoin de raconter, de vivre et de faire partager leurs rêves. C’est un véritable enfant d'»Alice au pays des merveilles». Mais qui est son père ? Ce qui ajoute du mystère, c’est que le cinéma en a deux… et même un grand-père.

Le grand-père du cinéma s’appelle Antoine Lumière. Marié à 19 ans, il s’établit à Besançon comme peintre, puis comme photographe. C’est dans cette ville que naissent ses deux premiers fils: Auguste, en 1862 et Louis, en 1864.

En 1870, la famille Lumière déménage à Lyon. Brasseur d’affaires né1, Antoine ouvre un studio de photographie dans le centre-ville. Il surveille de près le progrès des inventions dans le domaine des images animées. En même temps ses fils Louis et Auguste sont élèves à La Martinière, le plus grand lycée technique de Lyon.

C’est le cadet, Louis, qui met au point une plaque sèche au gélatino-bromure2 d’une très grande sensibilité (procédé de photo instantanée3) baptisée Etiquette bleue qui assure renommée et réussite financière à l’entreprise familiale. Pour fabriquer et commercialiser les plaques, Antoine Lumière achète alors un immense terrain à Monplaisir, dans la banlieue de Lyon. Rapidement acquise, la fortune est là.

Depuis 1890, les brevets4 concernant l’enregistrement et la projection d’images animées se multiplient. Les inventions s’enchaînent.

La Sortie des Usines Lumière (le premier film)

Pour obtenir la décomposition du mouvement en une série d’instantanés photographiques, l’inventeur britannique Eadweard Muybridge et le chercheur français Etienne Marey ont l’idée d’inscrire les images, non plus sur des plaques, mais sur une longue bande de papier photographique qui se déroule devant l’objectif. Mais comme cette bande n’est pas perforée, son avancement manque de régularité. L’appareil d’enregistrement des images (caméra) est aussi en voie d’élaboration, certains prototypes sont construits à plusieurs objectifs, tandis que d’autres sont munis d’une seule lentille5. Le principale problème à résoudre est le déplacement du support photographique en liaison avec l’ouverture de l’obturateur de l’objectif6.

En 1888, l’Américain Thomas Alva Edison, rencontre Muybridge. C’est peu après cette entrevue qu’il conçoit le principe de son phonographe optique. Il confie à un de ses jeunes collaborateurs, l’Anglais William Kennedy Laurie Dickson, l’étude de deux appareils, l’un pour l’enregistrement des images, baptisé Kinetograph, l’autre pour leur restitution, dénommé Kinetoscope.

A l’automne 1894, Antoine Lumière s’adresse à ses deux fils Louis et Auguste pour leur demander de s’intéresser à ces images animées sur lesquelles Thomas Edison butait7 alors. Cette incitation paternelle est le point de départ de l’aventure qui aboutit à l’invention du «Cinématographe Lumière» dont le monde, la France et Lyon ont célébré le centenaire de la naissance en 1995.

Les deux fils du photographe de la rue de la Barre, à Lyon s’inspirent pour la suite de leurs expériences du Kinetoscope et adoptent la pellicule perforée de l’appareil américain, mais reste le délicat problème de l’avancement du film.

Une nuit de l’année 1894, Louis trouve la solution. «Elle consistait à adapter aux conditions de la prise de vues le mécanisme (…) du dispositif d’entraînement des machines à coudre…», raconte-t-il. «Mon frère, en une nuit, avait inventé le Cinématographe», renchérit8 l’aîné.

L’Institut Lumière à Lyon

Charles Moisson, chef mécanicien de leur usine, est chargé de construire le prototype de l’appareil. Incontestablement pratique, il est léger, peu encombrant, et sert aussi bien à la prise de vues, au tirage des films qu’à leur projection. Il fonctionne à 16 images par seconde, et utilise le film mis au point par Edison, cette bande de celluloïd perforée. Seule différence, la pellicule du Kinetoscope comprend quatre perforations latérales9 rectangulaires par image, tandis que le film Lumière ne comporte qu’une perforation ronde de chaque côté. Quant au mécanisme d’entraînement — illumination d’une insomnie — il permet un défilement saccadé10 du film et, faisant coïncider son arrêt avec l’ouverture de l’obturateur, la projection agrandie des images.

Comment ne pas être saisi d’émerveillement face à La Sortie des Usines Lumière, le premier film du Cinématographe, la première fois où des hommes se sont filmés, nous pourrions dire se sont parlés tant l’invention des images animées s’apparente à l’invention du langage. Ce moment-charnière11 fondamental s’est déroulé à Lyon, le 19 mars 1895, dans ce qui s’appelle désormais la «rue du Premier-Film».

Les portes se sont ouvertes sur la sortie des usines Lumière et sur l’histoire du cinéma. Deux hommes, inventifs, curieux et décidés ont parachevé une aventure scientifique et lancé définitivement l’aventure des images animées. Le phénomène, comme son message, est universel, il court encore aujourd’hui.

1 brasseur d’affaires né — прирожденный делец
2 une plaque sèche au gélatino-bromure — сухая бромисто-желатиновая фотопластинка
3 photo (f) instanatanée — моментальное фото
4 brevet (m) — патент
5 lentille (f) — линза
6 l’obturateur de l’objectif — затвор объектива
7 buter — сталкиваться с трудностями, «спотыкаться» на чем-то
8 renchérir — добавить от себя
9 latéral — боковой
10 saccadé — неравномерный, скачкообразный
11 moment-charnière — поворотный момент

Sergey:
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