«Être actrice c’est être capable d’être une source. C’est de dépendre du désir des autres…»
Adjani la rebelle, Adjani implacable, le mystère Adjani, l’énigme Adjani, Isabelle Adjani et ses coups de foudre, sa folie, ses changements de style ou de décor, sa fragilité, sa versatilité… ne sont que quelques titres parmi les centaines qui ont marqué la couverture des magazines du monde entier. Quant aux photos, aux reportages, interviews et articles divers la concernant, ils se comptent par milliers. En faire l’inventaire est un travail titanesque à la limite de l’impossible. Il n’est pas un pays où Isabelle ne soit pas au moins une fois apparue à la Une.
C’est absolument hallucinant, car après tout, diront certains, elle n’est ni une personnalité politique à la tête d’une puissance économique internationale, ni les Beatles, ni une recordwoman de la variété ou du stade! Alors, comment est-elle, la plus primée et honorée des actrices françaises?
Les journalistes constatent que lorsqu’elle est présente aux rendez-vous, Isabelle Adjani se révèle beaucoup plus simple qu’on croit, intelligente, cultivée, charmeuse, captivante, sympathique. Elle est jolie, vraiment. Très pâle, non, très blanche, laiteuse et diaphane, comme si une ampoule l’éclairait de l’intérieur. Elle a conservé la bouche adolescente d’Adèle H. et ses cheveux noirs sont plus longs qu’au temps de La Gifle. Un pull-over très ample ou une liquette souple sur un pantalon noir lui donnent davantage le look étudiante que celui d’une femme fatale. D’autant qu’elle porte parfois, sur son petit bout de nez, de grandes lunettes rondes. Actrice très précoce, Isabelle Adjani a près de trente ans de carrière. Cela semble irréel, devant l’ovale de ce visage encore proche de l’enfance.
Isabelle Yasmine Adjani est née le 27 juin 1955. Dans les années 60 la famille Adjani: Mohammed, le père, né en Kabylie et engagé dans l’armée française à la fin de la seconde guerre mondiale; Augusta, dite Gusti, la mère allemande rencontrée en Bavière; les enfants Éric et Isabelle, occupait un appartement HLM de Gennevilliers. «Des origines étrangères de mes parents, j’avais fait une richesse, une source de rêveries infinies: l’univers de la littérature allemande d’un côté, les mystères orientaux de l’autre. Mais, devant la souffrance de mes parents, leurs difficultés matérielles, j’étais totalement démunie. La souffrance des parents vous imprègne pour la vie.»
Très bonne élève, Isabelle était une enfant idéaliste. Le dimanche, elle se récitait des poèmes et répétait mille fois, comme un serment fait à elle-même: «Ce n’est pas ça ma vie. Je sortirai d’ici.» C’est en 1969 que son rêve «d’en sortir» commence à se réaliser, lorsque au lycée de Courbevoie, l’assistant du réalisateur Bernard Toublanc-Michel lui a proposé le rôle principal de son film Le petit Bougnat.
À cette époque elle ne considérait le cinéma qu’une activité parallèle de vacances. Mais le sort en décide autrement puisqu’en 1971, on lui a proposé de tourner dans Faustine et le bel été. Dès lors elle ne songeait plus qu’au théâtre et peu après elle s’est inscrite au cours d’art dramatique Florent. On l’a choisie pour un très joli feuilleton télévisé: Le secret des flamands, où elle a interprété une jeune Florentine de la Renaissance, puis Robert Hossein l’a engagée pour La maison de Bernarda de Federico Garcia Lorca. La pièce était un triomphe, et passant outre toutes les règles puisqu’elle n’est pas sortie du Conservatoire national d’art dramatique, elle a intégré La Comédie Française.
Théâtre ou cinéma? Question difficile. «Cela n’a rien à voir! Le théâtre, c’est le partage d’une même foi, la vie qui se crée à chaque instant, la beauté de l’éphémère. Le cinéma, c’est l’image qui appelle l’image que l’on duplique, trafique, numérise, virtualise…». Théâtre donc? Faux! Car déjà au printemps 1975 commence le tournage d’Adèle H. avec François Truffaut, où elle interprète le rôle de la fille de Victor Hugo. Ce qu’elle a pu fournir au personnage comme élément caractériel, c’est sa violence de tempérament. Et aussi son envie de s’investir dans le film. Elle voulait tellement faire ce film qu’elle avait l’impression que comme Adèle, elle pouvait balayer tous les obstacles.
Rentrée en Europe d’Hollywood, où elle a tourné dans Driver de Water Hill, elle entame, dès l’été 1978, Nosferatu, fantôme de la nuit du cinéaste allemand Werner Herzog. Le film sort sur les écrans début 1979, et c’est un échec financier retentissant.
Fin 1978, Isabelle tourne dans Les Sœurs Brontë. Elle incarne Emily. Son frère Brandwell est interprété par un jeune comédien inconnu, Pascal Greggory… qu’elle retrouvera quinze ans plus tard pour La Reine Margot.
En 1981 Isabelle Adjani fait un retour fracassant puisque trois nouveaux films, tournés en 1980, sont à l’affiche. Clara et les chics types, Possession et Quartet. Son retour est d’autant plus fracassant lorsqu’elle obtient son premier César de la meilleure actrice en 1982 pour l’interprétation dans Possession.
Déjà à cette époque on reproche à Isabelle une trop longue absence, ce à quoi elle répond : «Cette inactivité professionnelle m’a permis de beaucoup réfléchir. Et j’ai fini par me dire qu’il faudrait penser à ce que moi j’ai envie de faire plutôt que d’attendre que quelqu’un arrive et me dise «Votre désir imaginaire, je l’ai entre les mains. Voilа le script!». Attendre cela c’est idiot.»
Février 1984. Les récompenses ne tardent pas à venir: Isabelle obtient son second César pour L’été meurtrier. Elle est la star la plus aimée et admirée des Français. Tout le monde s’incline: elle est géniale.
Dans le courant de la même année sort un album de chansons signées Serge Gainsbourg, dont Pull Marine qui connaît un immense succès, toujours d’actualité aujourd’hui. C’est Luc Besson qui en réalise le clip. Et en 1985, il lui propose le rôle-titre de Subway: Héléna, en compagnie d’un jeune acteur Christophe Lambert.
En 1987, au début de l’épidémie de sida, Adjani est victime d’une rumeur ignoble: Isabelle est atteinte de la maladie mystérieuse et honteuse, Isabelle est morte. «Au restaurant, je sentais la réticence à me donner des couverts. On me rapportait que tel médecin connu confirmait, dans les dîners, avoir vu lui-même mes analyses alarmantes. Qu’Untel connaissait le chirurgien, l’infirmière, le brancardier qui m’avaient eue en soins. Un décorateur contacté pour Camille Claudel s’est désisté en affirmant que, de toute façon, je serais morte avant le tournage. Aucun bulletin de santé n’aurait pu mettre fin à cette folie. On l’aurait cru falsifié. Jusqu’au jour où j’ai lu, vraiment lu, dans la presse, l’annonce de ma mort. C’est le plus grand embarras de ma vie. J’avais honte pour tout le monde.»
En 1987 commence le tournage de Camille Claudel. Le rôle de Camille fascine Isabelle: passion amoureuse, pulsion créatrice, élévation de l’âme au travers de l’art, comment résister? Cela fait déjà un an et demi que le projet s’élabore, il en faut encore deux jusqu’à la sortie en décembre 1988. Le film est un triomphe et Isabelle est récompensée par un troisième César en 1989! Elle est aussi nominée pour les Oscars.
Pause: Isabelle aime. Elle disparaît des écrans et part vivre à Londres avec son ami. En 1993, enfin, elle réapparaît en clôture du Festival de Cannes, dans Toxic Affair, hors compétition. Le film ne connaît pas un franc succès, pourtant c’est une comédie subtile et douce-amère sur le destin…
La Reine Margot est alors en cours de production. Là encore Isabelle explose et nous offre le meilleur d’elle-même : » C’est un personnage complexe. La reine Margot, réinventée а partir du roman de Dumas, vit d’une manière tribale avec ses frères. Elle vit l’amour et le sexe sans lois ni tabous. Elle est à la fois très primitive et très moderne. Ce qu’elle veut, elle le prend. Ou bien elle se laisse prendre. Son éducation à le goût du sang. Le sang du massacre de la Saint-Barthélemy. Bien que Marguerite de Navarre ait baigné dans une ambiance de meurtres et de complots, elle est inatteignable. C’est l’amour qui la rend vulnérable à l’inattendu. Margot, inhumaine au début devient humaine. C’est ce qu’il faut accepter dans sa vie terrestre pour comprendre le message divin.» Le film arrive sur les écrans en avril 1994, grandiose. Isabelle est couronnée par un quatrième César en février 1995… mais elle n’assiste pas à la cérémonie et s’en excuse pour cause de grossesse! Gabriel-Kane, son fils, naît le 10 avril à New-York.
Juin 1996 arrive avec Isabelle La Diabolique. Elle partage avec Sharon Stone l’affiche du remake d’un film de Henri-Georges Clouzot. Diabolique est excellent, cependant les critiques sont incapables de le considérer comme une œuvre à part entière. Ils se perdent dans des comparaisons scabreuses avec la première version. Par ailleurs, la sortie du film est compliquée par un contentieux avec la veuve de Clouzot. Mais les ombres qui planent ne réussiront pas à atténuer l’aura d’Isabelle, toujours aussi rayonnante…
Au mois d’août 1998, est annoncé le tournage du film avec Isabelle et l’acteur anglais Jeremy Irons. En janvier 1999, on entend dire que le film, co-produit par les deux acteurs principaux, aurait pour titre «The last face» (Le dernier visage). C’est une histoire d’amour entre deux volontaires de Médecins Sans Frontières. Début 2000, le film, toujours cependant en développement, n’est pas encore entré en production.
Au printemps 2000, Isabelle annonce enfin son retour très prochain, sur les planches! A partir du 18 octobre, elle interprète donc Marguerite Gauthier dans «La dame aux camélias» au théâtre Marigny à Paris. C’est un triomphe, la pièce se joue à guichets fermés, à chaque représentation les spectateurs sont en larmes et font une standing ovation à l’ensemble des comédiens.
Elle est toujours pleine de projets parmi lesquels Isabelle en a un qu’elle fait sien avec autant de ferveur que pour Camille Claudel : l’adaptation du journal d’une jeune juive hollandaise, Etty Hillesun, qui, en pleine folie nazie, conserve en l’être humain une foi intacte, avant de disparaître à Auschwitz.
«Aujourd’hui, j’ai envie de jouer», dit Adjani et c’est la seule réponse raisonnable à toutes les questions à propos de ses projets pour l’avenir.