Jean Gabin

Jean Gabin

Gabin a été certainement le plus français d’entre tous les acteurs. Chez Gabin, l’homme et l’acteur se mêlaient étroitement au service de valeurs «hexagonales», ces mêmes valeurs qui permettaient au public de s’identifier si fortement à lui. La France de Gabin est faite de langue verte1, de faubourgs familiers, de sport et d’amitié. Elle se veut à la fois poétique et gouailleuse2, braillarde3 et généreuse, noble et populaire.

Jean Gabin naît à Paris en 1904, de son vrai nom Jean Alexis Moncorgé, entouré de ses six frères et sœurs aînés. Son père, Ferdinand Joseph Moncorgé, est tenancier de café et comédien d’opérette sous le nom de scène de «Joseph Gabin», et sa mère, Hélène Petit, est chanteuse de café-concert4.

Loin de l’agitation des nuits parisiennes, l’enfant est élevé par sa sœur à la campagne dans la commune de Mériel. Il en gardera une profonde affection pour la nature et n’aura de cesse5 toute sa vie de se tenir éloigné des villes.

A l’âge de quatorze ans, Jean qui veut être conducteur de locomotive, se brouille avec son père qui rêve de voir son fils suivre sa trace. Gabin exerce différents métiers : cimentier, magasinier6 ou vendeur de journaux.

En 1922, son père le force à entrer comme figurant7 aux Folies-Bergère8 dont le directeur est son vieux copain. Joseph Moncorgé emmène son fils en coulisses et le présente : «Tiens, voici mon fiston9. Il aimerait faire du théâtre. Peux-tu l’aider ? Si tu arrives à en tirer quelque chose, tu auras bien du mérite. Moi, j’y renonce10…» Pris à l’improviste11, Jean accepte de prendre part aux répétitions d’une revue12. Le pied pris dans l’engrenage13, il continue, tâte14 du music-hall, du tour de chant15, de l’opérette.

En faisant son service militaire dans la marine, et pendant une permission16 du début de l’année 1925 il épouse une admiratrice, la future actrice Camille Basset, dite Gaby.

Jean Gabin

Les biographes signalent souvent l’année 1929 comme marquant les véritables débuts de Jean Gabin en tant que jeune premier17. A cette époque, en effet, il tient des rôles plus importants dans des opérettes.

Après quelques sketchs muets pour le grand écran, Jean Gabin est happé18 par le septième art19 en 1930. C’est l’avènement du parlant20 et les comédiens de théâtre sont alors très recherchés. Sans véritable passion au départ, Jean Gabin se laisse porter par son succès grandissant et enchaîne21 les petits rôles (Méphisto, 1930; Cœur de lilas, 1932), avant d’être repéré par des réalisateurs comme Maurice Tourneur (Tout ça ne vaut pas l’amour, 1931) ou Marc Allégret (Zouzou, 1934). Mais c’est en 1936 qu’il est révélé au grand public grâce à Julien Duvivier qui lui offre les personnages principaux de La Belle équipe et Pépé le Moko.

Doté d’un charisme exceptionnel et d’une solide carrure22, Jean Gabin n’est pas une gravure de mode23 mais séduit24 les spectatrices en incarnant à merveille les héros tragiques et romantiques d’origine populaire. Il devient une véritable star et tourne dans les années trente les meilleurs films de sa carrière. Ses collaborations avec Jean Renoir et Marcel Carné sont particulièrement fructueuses25 et lui permettent d’aligner26 des longs métrages comme La Grande illusion (1937), Quai des brumes (1938), La Bête humaine (1938) et Le Jour se lève (1939). La guerre interrompt brutalement son ascension27 spectaculaire. Il décide de s’exiler aux Etats-Unis où il a une liaison avec Marlene Dietrich et tourne deux films qui ne passeront pas à la postérité28.

Mal intégré à la société hollywoodienne, se sentant concerné par les évènements qui se déroulent en France, l’acteur décide de s’engager dans les Forces Navales Françaises Libres en 1943. A ce titre, il débarque à Alger, avant de rejoindre la Division Leclerc29 en Lorraine. Décoré de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre, il est démobilisé en 1945.

Mais l’après-guerre est rude pour la star : il essuie plusieurs échecs successifs dont celui de Martin Roumagnac (1946) avec Marlène Dietrich. Plus vraiment jeune premier et pas encore homme d’âge mûr, le comédien peine30 à retrouver sa place au sein du cinéma français comme de nombreux autres artistes de retour d’exil. Il se marie (pour la troisième fois) avec le mannequin Christiane Founier en 1949 (ils auront trois enfants) et réalise un de ses rêves d’enfant en investissant toute sa fortune au fur et à mesure dans un domaine à Moulins-la-Marche dans l’Orne, en Normandie, en 1952. Il se lance dans l’élevage de près de 300 bovins et d’une écurie d’une quinzaine de chevaux de course pour assouvir31 sa passion pour l’élevage de chevaux.

Maigret tend un piège

Sa carrière prend un nouveau tournant avec le rôle de Max dans Touchez pas au grisbi (1953) de Jacques Becker en 1953, puis celui de Henri Ferré, dit le Nantais dans Razzia sur la Chnouf (1955) de Henri Decoin, dans lesquels il a pour partenaires Paul Frankeur et Lino Ventura. Grâce à ces nouveaux succès, il retrouve, en 1954, Jean Renoir dans French Cancan (1954) et Marcel Carné dans L’Air de Paris (1954) avec Arletty, pour lequel il est récompensé32 à Venise33. Il reçoit d’ailleurs la Légion d’Honneur pendant le tournage de Les Vieux de la vieille (1960).

Tour à tour paysan, ouvrier, homme du monde ou gangster, Jean Gabin règne sur le cinéma français comme un monstre sacré. Il décline son personnage à l’infini, de Maigret à Valjean, on ne voit que Gabin à l’écran. Les cheveux blancs et la silhouette alourdie par l’âge, Jean Gabin gagne encore en présence et interprète à la perfection les mentors34 de jeunes acteurs comme Alain Delon (Mélodie en sous-sol, 1963 ; Le Clan des Siciliens, 1969) ou Jean-Paul Belmondo (Un Singe en hiver, 1962) dans des films d’Henri Verneuil. Il se laisse rarement tenter35 par la comédie (Le Tatoué, 1968) et enchaîne les polars36 efficaces de Georges Lautner (Le Pacha, 1968), Denys de la Pattelière (Du rififi à Paname, 1965) et Pierre Granier-Deferre (La Horse, 1970).

Dans ces dernières apparitions bouleversantes, le patriarche retrouve son regard d’enfant et affirme son talent. Jean Gabin décède à 72 ans d’une crise cardiaque à Neuilly le 15 novembre 1976 après avoir fait 95 films. Ses cendres sont dispersées dans la mer, au large37 de la Bretagne. Sa mémoire vit au sein du monde du cinéma, celui-ci lui rend hommage en créant le prix «Jean Gabin» récompensant les meilleurs espoirs masculins du cinéma français.

Prolo38 et voyou39, paysan et soldat, anar40 et bourgeois : les vies et les rôles de Jean Gabin ressemblent à la France.

Résumette
«Je suis monté sur les planches à contrecœur. J’ai tourné mes premiers films sans enthousiasme, sans espoir…» Celui qui parlait ainsi quelques années avant la guerre n’était autre que Jean Gabin. Pourtant Gabin a été le plus grand acteur français du XXe siècle ayant fait plus de 95 films et le plus français d’entre tous les acteurs. Depuis sa mort en 1976, il demeure, grâce aux nombreuses reprises de ses films par la télévision, un comédien très populaire. Un hommage lui a été rendu par la profession cinématographique lors de la remise des Césars en 1987. Un prix «Jean Gabin» est décerné chaque année au meilleur jeune comédien français.

1 langue (f) verte — жаргон; блатной язык
2 gouailleur (-euse) — насмешливый
3 braillard — крикливый
4 café-concert (m) — кафешантан, кабаре
5 n’avoir (pas) de cesse — не прекращать
6 magasinier (m) — кладовщик
7 figurant (m) — статист
8 Folies Bergère — парижский мюзик-холл, открытый в 1869 г.
9 fiston (m) — (разг.) сынок
10 j’y renonce — я сдаюсь
11 pris à l’improviste — застигнутый врасплох
12 revue (f) — ревю (театральное представление)
13 le pied pris dans l’engrenage — попав в переделку
14 tâter — (зд.) пробовать
15 tour (m) de chant — сольный концерт исполнителя песен
16 permission (f) — увольнение в город; отпуск
17 jeune premier — (театр.) герой любовник
18 happer — схватить
19 le septième art — киноискусство
20 parlant (m) — звуковое кино
21 enchaîner — нанизывать
22 carrure (f) — ширина в плечах
23 gravure (f) de mode — образец элегантности
24 séduire — пленять; соблазнять
25 fructueux — плодотворный
26 aligner — нанизывать
27 ascension (f) — восхождение
28 passer à la postérité — войти в историю
29 la Division Leclerc — танковая дивизия маршала Леклерка, освободившая Париж в 1944 г.
30 peiner — много, упорно трудиться
31 assouvir — удовлетворять
32 récompenser — награждать
33 Venise — имеется ввиду Венецианский кинофестиваль
34 mentor (m) — наставник
35 tenter — соблазнять
36 polar (m) — (разг.) детектив
37 le large — открытое море
38 prolo (m, f) — (разг.) пролетарий
39 voyou (m) — хулиган
40 anar (m, f) — (разг.) анархист

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