Patricia Kaas est en effet l’artiste qui a su se forger en dix ans une place originale et de premier plan dans la chanson française et francophone. Il ne suffit pas d’avoir une voix, ni un bon management pour triompher au plan international et vendre la bagatelle1 de dix millions d’albums: il faut au moins les deux, et bien d’autres choses encore qui restent très complexes à cerner2, sinon à analyser.
C’est dans l’est de la France, à Forbach (Lorraine), que naît le 5 décembre 1966 Patty, fille de Irmgard (Irma) et Joseph Kaas. Elle est la benjamine3 d’une famille de sept enfants élevés par une mère allemande et un père mineur de fond4.
A l’âge de 6 ans, elle aime déjà pousser la chansonnette. Lorsque les «grands» lui demandent ce qu’elle voudrait faire plus tard, elle répond invariablement : «devenir chanteuse…». Très encouragée par ses parents, Patricia commence à donner des concerts à l’âge de 8 ans. «Dès neuf ans, j’avais un groupe avec lequel je jouais le samedi soir, sans obligation ni cachet5. A l’époque, c’était plus un jeu qui rapidement est devenu une passion, comme un besoin. Tous les bals, les cabarets que j’ai faits là-bas ont été ma meilleure école de scène, et ce sont ces années qui ont forgé ma personnalité.»
Elle chante dans les bals populaires ou les fêtes familiales. Elle devient très vite une véritable professionnelle. A 13 ans, elle est engagée dans un cabaret allemand de Sarrebruck, où elle chantera tous les samedis soirs pendant sept ans.
S’il se dessine plusieurs périodes — au sens artistique du terme — dans la carrière de Patricia Kaas, il en existe deux dans sa vie: avant 1985, date de la sortie de son premier disque, et après.
En 1985, elle est remarquée par un architecte lorrain, Bernard Schwartz. Emballé par cette jeune interprète très à l’aise sur scène, il lui obtient une audition chez Phonogram6 à Paris. Par un de ses amis, l’acteur Gérard Depardieu entend la bande de l’audition et craque7 sur la voix de la jeune fille. Il décide alors de produire son premier 45 tours8, «Jalouse». La chanson est écrite par Elisabeth Depardieu, Joël Cartigny et François Bernheim qui restera un des compositeurs privilégiés de Patricia Kaas. Pourtant, le disque n’a pas rencontré le succès. «Je dois avouer que j’étais quelque peu déçue du métier; je m’en faisais une autre image. Je m’étais donc résolue à retourner chanter dans des bals du samedi soir, en attendant de voir ce que la vie me réserverait.» Mais c’est à ce moment-là que sa mère tombe malade. «Elle m’avait dit qu’elle souhaitait par-dessus tout me voir grande. Ses mots m’ont décidée à me battre, à être à la hauteur de l’ambition qu’elle avait pour moi. Je me suis prise en main, suis remontée à Paris.» Là, elle rencontre Didier Barbelivien qui lui propose Mademoiselle chante le blues. Au début, les médias n’ont pas craqué, pas assez commercial selon eux. «Je me suis accrochée9 en donnant énormément d’interviews, en allant dans les radios demander aux programmateurs de passer mon disque. Le public a suivi, il appelait les radios et leur demandait de rediffuser la chanson.» Ce disque vaut à Patricia en 1988 le Prix de l’Académie Charles Cros.
Après des années de carrière au sommet, Patricia Kaas a déjà vendu près de 10 millions de disques à travers le monde. Elle a reçu plusieurs prix, parmi lesquels on peut citer «Victoire de la Musique de la meilleure révélation féminine de l’année», l’Oscar de la SACEM10, etc. Sa voix impressionnante et son physique fragile séduisent un immense public. Partout, on la compare à Edith Piaf.
Une histoire d’amour
Patricia passe en moyenne 250 jours par an en tournée. «La Russie, la Corée, le Vietnam ou le Kazakhstan, ce ne sont pas des pays où je vais pour vendre des disques, ni même pour gagner de l’argent. J’y vais parce que j’ai la possibilité de leur faire oublier leurs problèmes pendant deux heures.»
Patricia Kaas aime avant tout chanter sur scène et sait établir une chaleureuse connivence11 avec le public, même dans des salles gigantesques de 18.000 personnes comme c’est le cas en Russie. La Russie, c’est toujours le cas particulier. Il y a tant de choses qui étonnent Patricia.
«J’étais surprise que les Russes me connaissent autant alors qu’ils n’achètent pas tant que ça mes disques. Qu’importe12 s’ils sont piratés, je me dois de retourner régulièrement leur rendre visite. La dureté de leur vie, mes origines lorraines doivent m’aider à les comprendre. Je suis vraiment «une fille de l’Est»…»
«Là, il y a toujours un grand carré d’officiels juste au pieds de la scène alors que le public «normal» est relégué13 au fond. J’avais sous les yeux cet énorme carré de VIP inertes!!! J’ai donc fait arrêter la musique et j’ai dit: «Il paraît que les VIP ne bougent jamais. Montrez-moi que c’est faux…» C’étaient des ministres, des généraux. Ils se sont pourtant levés, ils se sont regardés les uns les autres, se sont mis à bouger un petit peu et, au bout de même pas une minute, ils se sont rassis. Le lendemain, j’ai demandé que les VIP soient assis ailleurs et ça n’a pas du tout plu. Ils voulaient même annuler mon spectacle… On a trouvé la solution en installant les officiels un peu sur les cotés et en laissant un accès à la scène pour le vrai public.»
Elle est accueillie comme une reine. Le public russe l’adore. «Je me souviendrai toute ma vie de mon arrivée à Chérémétiévo, l’aéroport de Moscou. Tout ce monde, ces caméras de télé, les journalistes, les photographes… Et ces gens qui m’arrêtaient sans arrêt pour me demander des autographes…». Les sentiments sont réciproques14. «J’adore ces gens qui ont été touchés parce que je venais d’une grande famille, que j’ai réalisé mon rêve de chanter, que j’avais perdu ma maman. Et puis, ils aiment ce genre de chansons, ils aiment la voix. C’est un public qui m’a touchée, et chaque fois qu’on part en tournée, je tiens à y aller… C’est une véritable histoire d’amour que j’espère continuer.»
Patricia Kaas ne cesse de séduire un public toujours plus large en nombre et en nationalités. Artiste très populaire et très aimée, elle prépare de nombreux projets musicaux et cinématographiques. Kaas appartient désormais au panthéon des plus importants interprètes de la chanson française autant par la notoriété que par le nombre de disques vendus.
D’Allemagne
D’Allemagne où j’écoute la pluie en vacances
D’Allemagne où j’entends le rock en silence
D’Allemagne où j’ai des souvenirs d’en face
Où j’ai des souvenirs d’enfance
Léninplatz et Anatole France
D’Allemagne l’histoire passée est une injure
D’Allemagne l’avenir est une aventure
D’Allemagne je connais les sens interdits
Je sais où dorment les fusils
Je sais où s’arrête l’indulgence
Auf wiedersehn Lili Marlène
Reparlez-moi des roses de Gottingen
Qui m’accompagnent dans l’autre Allemagne
A l’heure où colombes et vautours s’éloignent
De quel côté du mur, la frontière vous rassure
D’Allemagne j’ai des histoires d’amour sincère
Je plane sur des musiques-d’appolinaire
D’Allemagne le romantisme est plus violent
Les violons jouent toujours plus lents
Des valses viennoises ordinaires
Ich habe eine kleine wild Blume
Eine Flame die zwischen den Volken blüt
D’Allemagne j’ai une petite fleur dans le coeur
Qui est comme l’idée du bonheur
Qui va grandir comme un arbre
1 bagatelle (f) — пустяк, «всего ничего»
2 cerner — уточнить
3 benjamin — младший
4 mineur (m) de fond — шахтер
5 cachet (m) — гонорар
6 Phonogram — студия звукозаписи
7 craquer — (разг.) не устоять
8 45 tours — виниловая пластинка с одной или двумя записанными песнями, сингл
9 s’accrocher — (разг.) упорствовать
10 SACEM — Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique — юридическая и экономическая защита авторов и издателей, защита авторских прав
11 connivence (f) — понимание
12 qu’importe — неважно, какая разница
13 reléguer — упрятать, отодвинуть
14 réciproque — взаимный