La manie de remakes

Depuis une quinzaine d’années, les grands studios d’Hollywood ont relancé la mode du remake1 et, parmi le répertoire cinématographique non anglophone, c’est la production made in France qui attire le plus les producteurs américains. L’amour de la France n’y est pour rien2. Le remake est une pratique commerciale qui consiste à refaire un film qui a eu du succès en partant du principe que s’il a rencontré une fois son public, il est fort probable qu’il le rencontre une deuxième fois. Les Américains disent, et avec raison, que l’argent attire l’argent.

Simone Signoret dans Les Diaboliques (1955) Sharon Stone et Isabelle Adjani dans Diabolique (1996)

Hollywood est consommatrice3 d’idées fraîches avec 3 000 scripts développés chaque année par les studios. Les livres (et les journaux pour les faits-divers4 et les histoires vraies) constituent la première source d’inspiration, à tel point que certains grands éditeurs américains sont implantés5 directement dans les studios.

Mais l’adaptation d’un roman ou d’un fait-divers peut devenir financièrement hasardeuse6 au regard de l’importance des coûts de production et de promotion. D’où la recherche d’histoires qui ont fait leurs preuves. Ce peut être les œuvres d’écrivains déjà adaptés avec succès, de Shakespeare à Patricia Highsmith7. Ce peut être aussi des adaptations de séries télévisées, même très anciennes (La famille Adams, Le Saint, Mission impossible, Batman…) ou encore des suites («sequels») de ces mêmes films ou de tous ceux ayant déjà rempli les salles (statistiquement assurés de faire au moins la moitié des entrées8 du précédent) ou encore des «prequels», dont l’action se déroule avant celle du film original (comme la série L’Enfance d’Indiana Jones, ou le prochain «prequel» de La Guerre des étoiles …).

C’est souvent, enfin, le remake d’un classique hollywoodien. Le financier part du principe qu’une nouvelle génération n’a pas vu l’original, qu’elle connaît pourtant de réputation et, partant9, serait ravie de découvrir ce classique, adapté au goût du jour.

Ce travail consiste à garder le titre, l’histoire et les personnages pour les replacer dans des situations modernes, avec un rythme narratif plus rapide et les stars du moment. L’original est presque toujours meilleur, puisqu’il s’agit souvent d’un chef-d’œuvre, réalisé par un grand metteur en scène. Si le Psycho de Gus Van Sant est un échec commercial aux Etats-Unis, c’est peut-être parce que l’original — le plus gros succès public d’Hitchcock — demeure très regardé, même par les jeunes générations.

Le remake de film étranger repose sur un principe très différent: ce n’est pas un classique du patrimoine américain que l’on juge pertinent10 de réaliser à nouveau, mais une excellente idée de film, au contraire inconnu, que l’on décide d’adapter «en américain». Alain Bernheim, un producteur français de Hollywood — grâce auquel Pierre Boule a été le seul écrivain français adapté de son vivant11 par les studios américains (La Planète des singes, Le Pont de la rivière Fwaï) — à l’origine de plusieurs remakes, juge que «l’important, dans un remake de film étranger, n’est pas la qualité de l’œuvre originale, ni son succès initial, mais la force de son idée principale et la démonstration que cette idée pourrait fonctionner si le public américain pouvait s’identifier au personnage central».

L’immense majorité des remakes de films non anglophones est adaptée d’œuvres françaises. Cela ne datent pas d’hier. Dès les années trente, c’était monnaie courante12. Prenons Topaze, d’après la pièce de Pagnol.

Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg dans A bout de souffle (1959) Richard Gere et Valerie Kaprisky dans Breathless (1983)

Le premier Topaze, avec Louis Jouvet, a été tourné en 1932, dès l’année suivante une version américaine avec John Barrymore est sortie. Idem13 pour Pépé le Moko (1936), le beau mélo14 colonial avec Gabin qui inspira deux adaptations hollywoodiennes, en 1938 et 1948, intitulées Casbah. Qui dit remake dit le plus souvent pâle copie. Même chez un grand cinéaste comme Fritz Lang, la Rue rouge et Désirs humains, excellentes adaptations de la Chienne et la Bête humaine de Jean Renoir, n’ont pas l’intensité des originaux. Quant aux productions commerciales, n’en parlons pas.

Cette tendence de refaire les films français est renforcée depuis les années 80 et devient une sorte de manie : plus d’une vingtaine de reprises en vingt ans.

Le réalisateur Paul Mazurski a eu l’idée d’adapter le Boudu sauvé des eaux (1932) de Renoir dans ce qui est devenu Down And Out In Beverly Hills (Le Clochard de Beverly Hills). Mazursky explique aujourd’hui l’origine: «Je marchais dans une rue de Beverly Hills, et j’ai vu un mendiant poussant un chariot de supermarché, rempli de boîtes vides, et suivi par un chien. Pour des raisons qu’il me serait difficile de vous expliquer, Boudu sauvé des eaux surgit à mon esprit. … J’ai soudain eu la vision d’un mendiant essayant de se suicider non plus dans la Seine, mais dans une piscine de Bervely Hills. J’ai ainsi voulu faire une satire des «nouveaux riches» de l’endroit. … Le film a eu du succès et la mode des remakes a été lancée.» Hollywood est très sensible aux modes : si un remake a marché, il faut en produire un autre aussitôt.

«Au moment de la sortie du Clochard, se souvient le producteur Jean-François Lepetit, Goldwyn15 sortait aux Etats-Unis Trois hommes et un couffin, avec la diffusion habituellement modeste d’un film français. Et brusquement, tous les studios ont voulu acheter les droits. J’ai finalement produit le remake avec Disney». Réalisé en 1987 par Léonard Nimoy (plus connu pour avoir incarné M. Spok, l’homme aux oreilles pointues de Star Track) avec un casting assez fade (Tom «Magnum» Selleck et deux inconnus), Three Men And a Baby a connu un succès phénoménal, l’un des cinquante plus gros de toute l’histoire de Hollywood. Avec sa suite Three Men And a Little Lady (le bébé a alors une dizaine d’année…), ils ont cumulé 268 millions de dollars de recettes sur le seul territoire américain. Les studios Disney étaient revenus au firmament16, et les films français avaient fait l’objet de toutes les attentions: plus de vingt remakes ont été tournés depuis.

«Les Français sont ceux qui font les brouillons de nos films», affirmait récemment la marionnette de Schwarzenegger aux Guignols de l’Info17. La boutade18 est d’autant plus drôle qu’on ne sait pas — de l’Américain triomphant ou du Français ironique — qui l’a vraiment prononcée…

Pierre Richard et Mireille Darc dans Le grand blond avec une chassure noire (1972) Tom Hanks dans The Man With One Red Shoe (1985)

De fait, de nombreux remakes reprennent souvent, presque scène par scène, l’original français, parfois avec un talent évident — le remake de La Cage aux folles (1978), The Birdcage (1996) est ainsi infiniment mieux mis en scène que l’original et constitue sans doute le remake le plus réussi. Une maîtrise technique et des moyens financiers bien supérieurs (La Totale (1991) — True Lies (1993)) peuvent, en outre19, rendre la comparaison cruelle, surtout quand l’original n’était pas fameux. Ainsi le remake de Un Indien dans la ville (1994): Jungle 2 Jungle (1997) n’est pas moins fade20, mais au moins correctement filmé.

Actuellement, le scénariste-cinéaste français le plus prisé à Hollywood est Francis Veber. Pourtant, son humour parisien s’acclimate mal au ciel bleu de la Californie. Le premier à l’adapter a été le mythique Billy Wilder, prince de la comédie hollywoodienne en fin de carrière, qui transforma l’Emmerdeur (scénario de Veber) en Buddy Buddy (1980) sans vraiment en retrouver la cocasserie21. Ensuite, les moutures22 américaines de scénarios de Veber se sont multipliées (de la Cage aux folles au Grand Blond avec une chaussure noire (1972), en passant par la Chèvre (1981)). Veber transformera lui-même ses Fugitifs (1986) en Three Fugitives (1989), avec le rugueux23 Nick Nolte comme alter ego idéal de Depardieu.

Parmi les expériences les plus incongrues24, on peut citer l’adaptation de Et Dieu créa la femme par Vadim lui-même aux USA, en 1987, trente ans après le choc BB25. Un bide26 absolu. Autre ratage27 total: Mixed Nuts (1994), un Père Noël est une ordure à la sauce yankee. Les échecs sont légion, comme Diabolique, désastreuse reprise des Diaboliques de Clouzot annoncée à grand renfort de publicité, qui se transforma en inepte duel de stars: Adjani contre Sharon Stone.

Souvent, les scénaristes américains de remake, à force de trop se concentrer sur l’américanisation de la structure, des lieux, des personnages (leur mentalité, leur métier, leurs habitudes, leur humour) tout en reproduisant le scénario de l’original, finissent par aboutir à une mécanique froide et sans âme, incompatible avec la nature même de l’original.

Les Américains se contentent d’exploiter la «bonne idée» d’un scénario étranger, c’est sans doute pourquoi un film français ne fait jamais l’objet que d’un seul remake. Une superbe idée de scénario ne remplacera jamais, à Hollywood, la geste ou l’épopée nationale.

d’après Laurent Daniélou et Vincent Ostria

1 remake (m) — (англ.) римейк, повторно снятый фильм
2 n’y est pour rien — здесь не при чем
3 consommateur — потребляющий
4 faits-divers (m, pl) — отдел происшествий
5 implanté — размещенный, внедренный
6 hasardeux — рискованный, опасный
7 Patricia Highsmith — современная американская писательница
8 entrée (f) — (здесь) входной билет
9 partant — следовательно
10 pertinent — уместный
11 de son vivant — при жизни
12 monnaie (f) courante — привычное дело
13 idem — то же, так же
14 mélo (m) — (fam.) mélodrame
15 Goldwyn — американская кинокомпания
16 firmament (m) — небесный свод
17 Guignols de l’Info — французская сатирическая телепередача «Куклы»
18 boutade (f) — каламбур
19 en outre — сверх того
20 fade — пресный
21 cocasserie (f) — юмор
22 mouture (f) — переработка
23 rugueux — ершистый
24 incongru — неуместный, нелепый
25 BB — Brigitte Bardot
26 bide (m) — (разг.) провал
27 ratage (m) — (разг.) провал, промах, неудача

Sergey:
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