Personnalité singulière de la culture française, Serge Gainsbourg fut bien plus qu’un chanteur. Musicien, compositeur, poète, écrivain, acteur, réalisateur, peintre, il fut avant tout un immense mélodiste et un auteur de génie qui savait manier la langue française avec un talent très personnel.
Le 2 avril 1928, naissent à Paris Lucien Ginsburg et sa sœur jumelle, Liliane. Leurs parents, Juifs russes Joseph Ginsburg et son épouse, Olga, se sont installés à Paris en 1919 après avoir fuit la Russie via Istanbul.
Seul garçon de la famille, Lucien grandit avec sévérité. Son père joue du piano dans les cabarets et exige de son fils une parfaite éducation scolaire et musicale. Les Ginsburg habitent un quartier populaire et touristique, vivant et bruyant. Enfant sage, Lucien passe sa scolarité sans problème et apprend le piano avec son père.
La guerre est là et les Ginsburg, pourtant naturalisés français en 1932, doivent se méfier du régime de Vichy. On leur fait porter l’étoile jaune1 («Une étoile de shérif», dira-t-il plus tard par dérision2). Ils quittent alors Paris pour Limoges où ils se cachent jusqu’à la fin de la guerre.
En 1945, après le retour dans la capitale, Lucien entre au lycée Condorcet dont il est renvoyé assez rapidement. Pratiquant le dessin et la peinture depuis longtemps, Lucien intègre donc l’école des Beaux-Arts. Il travaille énormément dans le but de réussir le chef-d’œuvre qui le ferait entrer dans le cercle étroit des génies tels Goya ou Picasso. Mais éternellement insatisfait de son travail, il en gardera toujours un complexe.
Jusqu’à l’âge de trente ans, il vit de petits boulots. Son activité principale est toujours la peinture, mais personne ne le remarque et il s’acharne dans le vide3. Malheureux, il revient à la musique, au piano, et en 1954, il s’inscrit à la Sacem (Société des auteurs compositeurs) sous le pseudonyme de Julien Grix. Mais toujours sans succès. Il continue à écrire pour la revue4 d’un cabaret. Entre 1954 et 1957, il joue également du piano tous les étés dans un club, période d’apprentissage intense pour ce pianiste autodidacte5.
1958 est une année essentielle de la carrière de Serge Gainsbourg qui commence par prendre ce nouveau nom. Il choisit Gainsbourg en hommage au peintre anglais Gainsborough, et Serge qui souligne ses origines russes.
Cette même année, Gainsbourg sort son premier album, «Du chant à la une», d’où est extrait «Le Poinçonneur des Lilas». Le public le rejette et les critiques cruels se moquent6 de ses grandes oreilles et de son nez proéminent7. Malgré des critiques sévères, l’album obtient en 1959 le Grand Prix de l’Académie Charles Cros, prestigieuse récompense musicale, grâce en particulier au titre «Le poinçonneur des Lilas»8, grand classique du répertoire de Gainsbourg.
En dépit donc, d’une certaine hostilité générale Serge Gainsbourg est très vite reconnu comme un auteur novateur. Il commence à écrire beaucoup pour les autres, et en particulier pour Juliette Gréco, qui le choisit pour renouveler son répertoire.
Toujours en 1959, Serge Gainsbourg croise Brigitte Bardot sur le tournage du film «Voulez-vous danser avec moi ?». La carrière d’acteur de Gainsbourg restera balbutiante9, mais le cinéma sera cependant très présent dans sa vie.
De 1961 à 1963, Gainsbourg sort trois albums dont le remarquable «Gainsbourg percussions», mais le public continue de le bouder10. Au début des années 60, le paysage musical est inondé par la vague yéyé11. Elle balaie un peu la chanson traditionnelle dont Gainsbourg fait encore partie, du moins aux yeux de la jeunesse. En dépit d’une période de doute, Serge Gainsbourg va pour la première fois prouver son immense sens d’adaptation en matière de courants musicaux.
Serge Gainsbourg va rencontrer une toute jeune chanteuse de 16 ans, France Gall. Il lui écrit quelques titres, mais c’est la chanson «Les Sucettes» qui scellera12 leur collaboration. Gainsbourg entre alors dans les hit-parades et concurrence les plus gros tubes13 de l’époque. Son auditoire s’élargit, se rajeunit, et sa notoriété ne fait qu’augmenter. En 1965, le titre «Poupée de cire, poupée de son», toujours interprété par France Gall sous les couleurs14 du Luxembourg, remporte le Grand Prix de l’Eurovision. C’est enfin le succès, la richesse, à plus de 37 ans!
Fin 1967, Gainsbourg vit une passion courte mais torride avec Brigitte Bardot à qui il dédie la chanson «Initials B.B.» après lui avoir écrit quelques titres emblématiques («Harley Davidson», «Bonnie and Clyde», et le tube planétaire «Je t’aime… moi non plus»). Même si ce dernier titre est devenu célèbre grâce à l’interprétation de Jane Birkin, le tout premier enregistrement de cette chanson a été fait en duo avec Bardot qui l’a gardé secret jusqu’en 1986.
Sur le plateau du tournage de «Slogan», en 1968, il rencontre Jane Birkin (sa 3e femme) pour laquelle il sera à nouveau auteur-compositeur. Ce sont «Je t’aime… moi non plus» puis «69 Année érotique», immenses succès qui dépassent les frontières.
Ils deviennent pendant dix ans un couple très médiatique15, à la pointe de l’actualité. En 1971 Jane Birkin accouche à Londres d’une petite Charlotte (3e enfant de Gainsbourg).
Ses années 1970 sont marquées par l’écriture et la composition de 4 albums phares : «Histoire de Melody Nelson», «Vu de l’extérieur», «Rock around the bunker» et «L’Homme à tête de chou».
C’est à cette époque que Serge Gainsbourg commence à présenter une image qui ne fera que s’accentuer jusqu’à sa mort, celle de «Gainsbarre», d’un homme mal rasé, buveur, fumeur, et provocateur. L’attitude publique de Gainsbourg va le rendre de plus en plus populaire parmi la jeunesse, qui dans les années 70, puis 80, se reconnaîtra dans cet homme qui n’hésite pas à braver les convenances16.
En 1976, il se lance pour la première fois dans la réalisation cinématographique. Son film » Je t’aime moi non plus » obtient très vite une réputation sulfureuse17 avec un scénario audacieux18 touchant aux tabous de l’érotisme. Il réalisera trois autres films, «Équateur», «Charlotte for ever» et enfin «Stan the flasher». Ses films ont peu de succès, les sujets abordés étant toujours provocateurs.
Après un voyage à Kingston (capitale jamaïquaine) et un retour aux sources du reggae, il revient en 1979 avec un nouvel album qui en quelques mois, se vend à plus de 300.000 exemplaires, et une Marseillaise («Aux armes et caetera») revue et corrigée à la sauce jamaïquaine. Ses concerts des années 1980 le propulsent19 au sommet.
De plus en plus son personnage médiatique succédera à Gainsbourg avec quelques apparitions télévisées plus ou moins alcoolisées. Il forge ainsi sa légende de poète maudit qui lui vaut tantôt l’admiration tantôt le dégoût. Au bout de dix ans Jane Birkin n’en peut plus et le quitte.
Gainsbourg rencontre une nouvelle égérie20, Bambou (Pauline Von Paulus), qui lui donne un fils Lulu en janvier 1986.
En 1990, Serge Gainsbourg écrit tout un album pour Vanessa Paradis. Il se livre également à un exercice inattendu en écrivant encore un titre pour l’Eurovision. Interprétée par la guadeloupéenne Joëlle Ursull, la chanson «White and black blues» remporte le second prix du concours.
Dans les derniers mois de sa vie, il sort peu de son domicile dont les façades sont recouvertes d’innombrables graffitis à la gloire de l’artiste.
Serge Gainsbourg s’éteint21 en 1991 à la suite d’une cinquième crise cardiaque. Il avait oublié de prendre sa pilule pour le cœur. Il n’a pas souffert.
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Résumette
Serge Gainsbourg, de son vrai nom Lucien Ginsburg, né le 2 avril 1928, de parents juifs russes, et mort à Paris le 2 mars 1991, est un auteur-compositeur-interprète et cinéaste français. Il fut l’un des auteurs-compositeurs les plus fertiles de son époque, touchant à tous les styles musicaux, mais aussi au cinéma et à la littérature. Il a réalisé plusieurs films et vidéo-clips et composé plus de quarante bandes sonores de films. Enfin il s’est créé l’image d’un poète maudit et provocateur. Néanmoins, son héritage est d’une richesse incroyable. Ses titres sont repris en permanence et les textes de certaines chansons sont même étudiés dans les écoles.
Le poinçonneur des lilas
Paroles et Musique: Serge Gainsbourg 1958
J’suis l’poinçonneur des Lilas
Le gars qu’on croise et qu’on n’regarde pas
Y a pas d’soleil sous la terre
Drôle de croisière
Pour tuer l’ennui j’ai dans ma veste
Les extraits du Reader Digest
Et dans c’bouquin y a écrit
Que des gars s’la coulent douce à Miami
Pendant c’temps que je fais l’zouave
Au fond d’la cave
Paraît qu’y a pas d’sot métier
Moi j’fais des trous dans des billets
J’fais des trous, des p’tits trous, encor des p’tits trous
Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous
Des trous d’seconde classe
Des trous d’première classe
J’fais des trous, des p’tits trous, encor des p’tits trous
Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous
Des petits trous (x4)
J’suis l’poinçonneur des Lilas
Pour Invalides changer à Opéra
Je vis au cœur d’la planète
J’ai dans la tête
Un carnaval de confettis
J’en amène jusque dans mon lit
Et sous mon ciel de faïence
Je n’vois briller que les correspondances
Parfois je rêve je divague
Je vois des vagues
Et dans la brume au bout du quai
J’vois un bateau qui vient m’chercher
Pour m’sortir de ce trou où je fais des trous
Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous
Mais l’bateau se taille
Et j’vois qu’je déraille
Et je reste dans mon trou à faire des p’tits trous
Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous
Des petits trous (x4)
J’suis l’poinçonneur des Lilas
Arts-et-Métiers direct par Levallois
J’en ai marre j’en ai ma claque
De ce cloaque
Je voudrais jouer la fill’’ de l’air
Laisser ma casquette au vestiaire
Un jour viendra j’en suis sûr
Où j’pourrais m’évader dans la nature
J’partirai sur la grand’route
Et coûte que coûte
Et si pour moi il n’est plus temps
Je partirai les pieds devant
J’fais des trous, des p’tits trous, encor des p’tits trous
Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous
Y a d’quoi d’venir dingue
De quoi prendre un flingue
S’faire un trou, un p’tit trou, un dernier p’tit trou
Un p’tit trou, un p’tit trou, un dernier p’tit trou
Et on m’mettra dans un grand trou
Où j’n’entendrai plus parler d’trou plus jamais d’trou
De petits trous de petits trous de petits trous.
1 étoile (f) jaune — в годы второй мировой войны на оккупированных территориях евреи были обязаны нашивать на одежду жёлтую шестиконечную звезду
2 par dérision — в шутку
3 s’acharner dans le vide — стараться впустую
4 revue (f) — (театр.) ревю (представление из отдельных сцен
5 autodidacte — самоучка
6 se moquer de — смеяться над…
7 proéminent — выступающий (вперёд)
8 titre (m) — вещь, песня, трек
9 balbutiant — (зд.) находящийся на начальном этапе
10 bouder — (зд.) игнорировать
11 yéyé (m) — йе-йе (стиль музыки, популярный в 1960-х гг.)
12 sceller — скреплять
13 tube (m) — шлягер, хит
14 sous les couleurs — под флагом
15 médiatique — освещаемый СМИ
16 braver les convenances — не считаться с приличиями
17 sulfureux — скандальный
18 audacieux — смелый
19 propulser — выбрасывать, выталкивать
20 égérie (f) — (зд.) муза
21 s’éteindre — угасать, умирать