Sur les routes de… Samara

Sur les routes de… Samara

Gleb Aleksouchin, historien-annaliste1, spécialiste en histoire régionale et professeur d’histoire à l’Institut de Droit du Ministère de la Justice où il est chargé de cours2 des sciences sociales, il est persuadé que l’automobilisme de Samara s’est développé au début du XXe siècle grâce aux traditions françaises.

 

Pourquoi cet intérêt d’étudier l’histoire des automobiles?

— Le principe de la recherche historique d’après l’école des Annales veut que le chercheur prenne en compte tous les aspects de l’activité humaine, tous les facteurs de la vie quotidienne d’une époque donnée. Si j’étudie Samara du début du siècle, alors, je dois m’intéresser à tout ce qui se passait chez nous durant ces années. Tout, ça veut dire les événements qui avaient lieu, les personnes qui y participaient, les livres qu’ils lisaient et, pourquoi pas, les automobiles qu’ils conduisaient.

Et c’étaient les automobiles françaises?

Piotr Poliakov

— Les voitures étrangères étaient largement présentes à Samara. Il y avait des automobiles allemandes, américaines et bien sûr des voitures françaises. La France intéressait beaucoup les Russes désireux de s’acheter une automobile parce que la Russie avait signé un contrat avec le Club des Automobilistes de France selon lequel nos compatriotes pouvaient importer une voiture achetée en France sans payer la taxe de douane3 . Et puis, les voitures françaises n’ont jamais été mauvaises.

 

C’est de la pub4, non?

— A propos de la publicité qui est aussi un des objets de nos recherches. Pour faire connaître leurs automobiles, les Français organisaient des rallyes en France ou ailleurs et prenaient toujours une part très active à presque toutes les courses d’automobiles se passant à l’étranger.

 

Est-ce qu’il y a des exemples de la participation des Français aux rallyes russes?

— Tout à fait. En 1909, le pilote5 français Donnier a remporté la victoire au rallye St-Pétersbourg — Riga — St-Pétersbourg (1000 km) ayant mis pour le trajet 13 h 01. Très bon résultat étant donné que le train rapide de l’époque parcourait cette distance en 24 heures. Mais ce qui est le plus intéressant c’est que le deuxième s’est classé notre pilote Piotr Poliakov au volant d’une Berliet6 (voiture française avec la cylindrée7 de 3775 cm3.)

La rue Dvorianskaia

Il était un sportif professionnel?

— Poliakov était un des pionniers du mouvement automobiliste à Samara. Il commercialisait des voitures et avait son garage-magasin dans la rue centrale de notre ville. C’est au volant de sa propre automobile qu’il a participé à la course.

Pour lui c’était aussi la publicité?
Est-ce qu’il y a des exemples de la participation des Français aux rallyes russes?

— Oui. Revenu à Samara avec sa coupe d’argent qu’il a gagnée à St-Pétersbourg, Poliakov a organisé la projection d’un documentaire8 tourné lors de la course. Le public qui s’est réuni dans la salle «Triomphe», a été nombreux, ce qui témoigne un grand intérêt aux automobiles chez les habitants de Samara. Le résultat de cette action publicitaire a été immédiat: Poliakov a vendu deux de ses camions à la Poste de Samara.

C’étaient toujours des voitures françaises qu’il vendait?

— Pas seulement. Poliakov était revendeur9 officiel de l’usine «Berliet» à Samara, mais il vendait aussi des automobiles allemandes «Bussing» et d’autres voitures sans oublier les pneus et les pièces de rechange10.

La Berliet était donc la seule marque française qu’on pouvait voir à Samara?

Les pompiers sur une Bussing

— Bien sûr que non. Les automobiles françaises les plus connues étaient les automobiles «Brasier11«. Elles étaient solides, plus confortables que les voitures allemandes et meilleur marché que les voitures anglaises.

A propos des prix. Qui étaient ceux qui pouvaient se permettre d’avoir une voiture au début du siècle passé?

— Des gens assez riches, car l’automobile a été vraiment très-très chère. En 1908, l’avocat de la Cour d’assise de Samara12 Konstantin Bélotserkovski s’est décidé d’acquérir une Brasier. Alors, pour ne pas gaspiller trop d’argent, il est parti lui-même à Paris chercher sa voiture. Le retour (Paris — Varsovie — Moscou — Nijni-Novgorod) était plein d’aventures: le moteur puissant (80 chevaux) n’a pas toujours pu surmonter l’obstacle naturel des routes russes, à savoir … la boue. Et c’est seulement sur l’étape Paris — Varsovie que la voiture a démontré sa vitesse maximale — 135 km/h. A Nijni-Novgorod, l’expédition s’est chargé en bateau pour regagner Samara. C’était la première expérience du voyage en automobile de Paris à Samara.

Traduction faite par Fran Cite

1 annaliste (m) — последователь исторической школы Анналов (Ecole des Annales)
2 chargé (m) de cours — заведующий кафедрой
3 taxe (f) de douane — таможенная пошлина
4 pub (f), publicité (f) — реклама
5 pilote (m) — гонщик
6 Berliet — Берлие — автомобиль лионского автозавода, основанного в 1900 г. Мариусом Берлие. Завод одним из первых стал специализироваться в производстве грузовиков. В 1967 г. куплен Ситроеном.
7 cylindrée (f) — объем двигателя
8 documentaire (m) — документальный фильм
9 revendeur (m) — дилер
10 pièces (pl, f) de rechange — запасные части
11 Brasier — Бразье — автомобиль завода Шарля-Анри Бразье. Инженер по образованию, автор многих патентов по моторостроению, Бразье начинал как дизайнер у Панхарда, после чего работал с братьями Морс, пока не создал свою фирму по производству автомобилей, которая была ликвидирована в 1924.
12 avocat de la Cour d’assise de Samara — присяжный поверенный самарского окружного суда

Sergey:
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