Dans l’affluence des éléments ethniques de la musique occidentale de la fin du siècle l’Orient tient ferme. Les Anglais ont apprécié la musique de leur anciennes colonies asiatiques. George Harrisson des Beatles avec le sitar indien en 1965 d’abord, et les musiciens faisant partie de la vague brit pop aux années 90 surtout, y ont puisé leur inspiration.
En France, il a fallu aussi attendre les années 90 pour que les musiques d’Afrique du Nord deviennent populaires, et particulièrement le raï dont Khaled, Cheb Mami et Faudel sont indiscutablement les meilleurs ambassadeurs.
Ce mouvement musical est né au cours des années 1970 de la fusion des musiques populaires de l’Ouest algérien et de la pop électrique occidentale. Le terme raï signifie littéralement «avis, point de vue», mais aussi «destin, sort»; l’expression ya rayi («ô mon raï»), utilisée couramment dans les chansons oranaises, est à l’origine de la dénomination. Le raï dit traditionnel est apparu au siècle dernier à Oran, l’un des centres industriels et culturels de l’Algérie, hérité de différentes formes de poésie: une voix abîmée par les cigarettes et l’alcool sur fond de darbouka et de flûtes de roseau. Par la suite, dans les années 1920 -1930, le raï évolue et s’impose auprès des femmes d’Oran, qui improvisent sur ses rythmes bruts des paroles licencieuses. Un sociologue Algérien, Habib Tengour écrit sur les origines de cette musique:
«La musique raï a longtemps été considérée comme une musique vulgaire, on ne pouvait décemment l’écouter en famille, comme le chant andalou ou saharien. La pudeur lui interdisait l’accès des foyers.
De ses origines le raï garde encore l’âpreté âcre des bouges des quartiers chauds de la ville d’Oran, pour le citadin des quartiers cossus de laquelle le mauvais goût, celui des mauvais garçons et des filles perdues, des déracinés envahisseurs des villes, perce à travers chaque note, chaque intonation, chaque mouvement. Il n’y voit que grossièreté de va-nu-pieds, basse exaltation de vilenie, triomphe de l’instinct sur l’âme. Ceci explique son refoulement.
La lutte de libération a fait éclore d’autres sons dans le bruit révolutionnaire; elle a imposé le silence de l’attente augurale.»
Fusionnant avec les influences égyptiennes et françaises, les instruments traditionnels sont peu à peu remplacés par de plus modernes et électrifiés. La rencontre en 1974 du trompettiste Messaoud Bellemou et du jazzman Safi Boutella marquera la naissance du pop raï.
Quelques années plus tard, la nouvelle génération du raï, les chebs (les jeunes en oranais, féminin est cheba) introduisent le synthétiseur et la boîte à rythmes. L’Algérie, prise dans ses contradictions, entre archaïsme et modernité, n’avait pas prévu l’explosion de ce phénomène. Une jeunesse, qui a soif de vivre, le hurle dans des chansons quasi libertines dans lesquelles l’amour et la fête reviennent comme des leitmotivs.
En s’enrichissant de tous les courants musicaux actuels, et en se déclinant en autant de styles (raï love, raï salsa, raï dance …), le raï s’établit comme la musique de la jeunesse algérienne. Vu sous cet angle, le raï s’apparente à ce que le rock représentait pour les jeunes Américains dans les années 1960 : une musique nouvelle mais aussi une attitude revendicative de rupture vis-à-vis des références de leurs parents, et de la société. La scène raï s’élargit et, musicalement, le raï évolue, s’étoffe, tout en gardant dans ses paroles une dimension poétique et contestataire.
La rupture avec la chanson de variété algérienne vient, d’une part, d’un renouveau des thématiques dans les textes, d’autre part, d’une fusion ouverte avec des rythmes non maghrébins comme le reggae, le rock et le funk. Exprimant l’exaspération d’une jeunesse algérienne délaissée (qui représente plus de 50 % de la population), en quête de démocratie mais aussi d’une libéralisation des mœurs et de l’évolution des structures sociales, les textes de raï n’ont cependant jamais contenu de revendications ouvertement politiques. Ils parlent surtout de sujets tabous dans la société traditionnelle algérienne, comme l’alcool, l’amour et le sexe.
«En effet, écrit Habib Tengour, le raï est le chant des jeunes, les chebs; ils sont des quantités en Algérie: cheb Hasni (assassiné à Oran en février 1995), cheba Fadila, cheb Khaled, cheb Mami, cheb Sahraoui, cheba Zahouania, etc. Beaucoup quittent le pays ne comprenant pas pourquoi eux, qui sont au cœur des frustrations de leur peuple, sont devenus des cibles. Quand on les interroge, les chanteurs de raï se défendent de faire de la politique. Ils disent ne chanter que l’amour, le rêve de départ et les problèmes quotidiens des jeunes. Ils professent la sensualité et avouent naïvement ne rien comprendre à la politique.»
Depuis le milieu des années 1980, le raï se diffuse un peu partout dans le monde. Modernisé par une instrumentation électrique, qui se mêle savamment à des instruments traditionnels, des synthétiseurs, des boîtes à rythme, le raï s’ouvre à des influences aussi diverses que le funk, la fusion, le rock progressif … Du fait de cette ouverture sur la modernité, et de thèmes qui s’inscrivent dans une revendication du droit à la libre expression, le raï, libre-penseur, est l’ennemi des extrémistes islamistes. Contesté à l’intérieur du pays, il acquiert en revanche une audience internationale.
Khaled devient le représentant international du raï avec le tube Didi. Il est suivi de près par Cheb Mami, qui excelle dans le raï danse. Cheikha Remitti enregistre avec Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers.
Le raï se développe aussi en France : avec le Lyonnais Rachid Taha qui se tourne vers des influences funk, ou encore Malik, inspiré par la trance. En 1998, le concert «1, 2, 3, soleils » qui réunissait à Bercy Khaled, Rachid Taha et le jeune Faudel, la révélation de l’année, a fait un triomphe. Un concert unique par sa date et unique dans l’histoire du raï. 17000 personnes étaient venues entendre les trois chanteurs ensoleillés, sous la responsabilité de Steve Hillage, guitariste mythique des années 70. Les trois artistes étaient accompagnés d’un orchestre composé de 65 musiciens orientaux, américains, français et anglais.
Khaled en rois
Né en 1960 à Sidi-El-Houari, un faubourg d’Oran, Khaled enregistre (contre l’avis de ses parents) son premier disque à l’âge de… 13 ans. Adolescent, il écrit «Trig el lici», qui signifie «la route du lycée», qui obtient un certain succès auprès des amateurs de raï. Il racontait la difficulté de concilier les études et l’amour de la musique. Il exerce divers petits boulots (plomberie, bijouterie, mécanique, électricité, secrétariat) qui lui permettent de continuer à enregistrer. Il publiera cinq autres singles jusqu’en 1978.
Khaled incorpore à son style les diverses influences qui l’ont marqué à un moment de sa vie : raï mais aussi rock, pop, blues et chansons françaises (il interprétera d’ailleurs «La poupée qui fait non» de Michel Polnareff, en duo avec Mylène Farmer, plus de trente ans après sa création). C’est justement ce métissage musical qui lui permet de sortir du rang ; en outre, sa voix puissante rappelle celle des cheiks, ses anciens maîtres de la tradition orale oranaise. Au début des années 80, après avoir chanté dans de nombreux cabarets, il est l’artiste le plus apprécié de son pays.
Fort de cette renommée, il s’installe en France en 1987. Cinq ans plus tard, il est nommé chevalier des Arts et des Lettres par le ministre de la culture Jack Lang. Et, l’année suivante, en 1993, il représente la France lors d’un concert pour fêter le 14 juillet à Central Park, à New York. Son album N’ssi n’ssi est utilisé dans la BO du film de Bertrand Blier 1,2,3… Soleil.
«Aïcha» devient le tube de l’hiver 1996-1997. La chanson a été écrite par Jean-Jacques Goldman, désormais l’auteur le plus inspiré de sa génération, au travers de sa propre carrière d’idole mais aussi grâce à ses compositions pour autrui. «Aïcha» apporte une image de paix et de réconciliation entre les hommes venus de divers horizons, et, dans le cas présent, de diverses religions. Le juif Goldman et le musulman Khaled grimpent au Top 50, main dans la main.
Bien que Khaled répète toujours qu’il ne fait que de la musique, il ne cesse d’être interrogé sur la situation politique en Algérie. Il faut dire qu’il est devenu le chanteur arabe le plus connu de la fin du XXe siecle, sa renommée se propage jusqu’en Inde.
Malgré que Khaled figure sur la liste rouge des intégristes algériens, il est autrement dit condamné à mort, le 14 novembre 2000 il a donné un concert en Alger, pour la première fois depuis 13 ans.
Cheb Mami en dauphin
Cheb Mami, «le môme» en parler oranais, appartient à cette génération de post-indépendance, pleine d’espoir en la construction d’une société algérienne libre et moderne. Mohamed Khelifati, alias Cheb Mami, est né en 1966 dans à Saïda, petite ville d’Algérie à 200 km au sud d’Oran.. Dès son enfance le Cheb préfère chanter dans la rue laissant les copains du quartier taper dans une boîte de conserve en guise de ballon de football.
En 1982, un producteur d’un label d’Oran, le repère. De 1982 à 1985, il fera enregistrer à Mami une dizaine de cassettes qui seront éditées de 100.000 à parfois 500.000 exemplaires.
Quand en 1985, Mami débarque à Paris, les cassettes de ses chansons l’ont déjà précédé. En janvier 1986, il participe aux côtés des plus grands noms du raï aux festivals de Bobigny et la Villette (Paris). En 1987, Mohamed Khelifati, part faire deux années de service militaire en Algérie. A son retour en France, en mai 1989, le nom de Cheb Mami est de nouveau en haut de l’affiche à l’Olympia.
La popularité vient en 1994 avec la sortie de son troisième album «Saïda». Le Cheb signe avec la major Virgin qui l’introduit véritablement sur les grands circuits internationaux.
Cependant, le grand jour survient en 1999 lorsque le 4 juillet, Cheb Mami donne un concert à Alger. Véritable événement politique, la présence du chanteur sur le territoire algérien attire environ 100.000 personnes. Cette même année, le chanteur est choisi par Sting pour interpréter un duo «Desert Rose» sur l’album de la star anglaise.
Faudel en petit prince
Né le 6 juin 1978 à Mantes-la-Jolie, en région parisienne, Faudel Belloua hérite un nom d’origine Egyptienne qui signifie Bienvenue. À 12 ans, il chante déjà dans le groupe, Les étoiles du Raï animant mariages et fêtes de quartiers. Peu à peu, Faudel se constitue son propre répertoire. Début 1997, il sort son premier album, «Baïda» qui avait grimpé au Top 10 français. En 1998, Khaled, Taha et Faudel organisaient un concert exceptionnel à Bercy, intitulé «1,2,3 Soleils». En solo, duo ou trio, nos artistes ont eu un énorme succès, prônant la tolérance et le sourire. Aujourd’hui, Faudel chante un raï moderne mixé au funk, reggae, flamenco, salsa et jungle. Sur scène, il regorge de soleil et de joie. Il chante dans les deux langues, mais à la différence de ses aînés, Khaled et Taha, il est né sur le sol français, et fait donc partie de cette troisième génération qui fait de la musique sans passeport, largement inspirée des tendances et des goûts personnels du groupe.
Aïcha n’est pas un personnage imaginé. Elle existait en réalité. Aïcha était la reine de Saba, reine gouvernante et très respectée d’un pays qui se situait dans le Yemen moderne. La dernière et la plus indépendante femme du prophète Mahomet elle est devenue le symbole de l’émancipation de la femme aux pays islamistes (en Algérie, en Iran, etc.) où le faible sexe peut se faire massacrer pour porter le voile pas tout à fait comme il faut, ou pour oser faire de la bicyclette… Aïcha est la femme qui refuse d’être opprimée et qui se bat pour toutes les femmes de la planète.
Comme si j’n’existais pas,
Elle est passée a côté de moi,
Sans un regard, reine de Saba.
J’ai dit : «Aïcha, prends : tout est pour toi.»
Voici les perles, les bijoux,
Aussi l’or autour de ton cou,
Les fruits bien murs au goût de miel,
Ma vie, Aïcha, si tu m’aimes.
J’irai ou ton souffle nous mène
Dans les pays d’ivoire et d’ébène.
J’effacerai tes larmes, tes peines.
Rien n’est trop beau pour une si belle.
Oooh ! Aïcha, Aïcha, écoute-moi.
Aïcha, Aïcha, t’en vas pas.
Aïcha, Aïcha, regarde-moi.
Aïcha, Aïcha, réponds-moi.
Je dirai les mots des poèmes.
Je jouerai les musiques du ciel.
Je prendrai les rayons du soleil
Pour éclairer tes yeux de reine.
Oooh ! Aïcha, Aïcha, écoute-moi.
Aïcha, Aïcha, t’en vas pas.
Elle a dit : «Garde tes trésors.
Moi, je vaux mieux que tout ça,
Des barreaux forts, des barreaux même en or.
Je veux les mêmes droits que toi
Et du respect pour chaque jour.
Moi, je ne veux que de l’amour.»
Aaaah !
Comme si j’n’existais pas,
Elle est passée a cote de moi,
Sans un regard, reine de Saba.
J’ai dit : «Aïcha, prends : tout est pour toi.»
Aïcha, Aïcha, écoute-moi.
Aïcha, Aïcha, écoute-moi.
Aïcha, Aïcha, t’en vas pas.
Aïcha, Aïcha, regarde-moi.
Aïcha, Aïcha, réponds-moi.
Lalala… lalala…