La Normandie, c’est la mer à deux heures de Paris, avec ses magnifiques plages de sable ou de galets, ses stations balnéaires1 mondaines ou familiales, l’arête2 blanche de ses falaises3 et l’animation de ses ports de pêche; c’est, sur la route du Mont-Saint-Michel et de la Bretagne, l’étape verdoyante, le repos du regard, la vision d’une campagne française calme et cossue4, où l’on est heureux de vivre.
La parfaite complémentarité de deux régions sœurs
Ancienne province du nord-ouest de la France, la Normandie est aujourd’hui divisée en deux régions (la Basse et la Haute-Normandie), l’entité historique de Guillaume le Conquérant5, riche en villes chargées d’art et d’histoire, ne constituant en effet pas une réalité naturelle. En effet, géologiquement, l’Ouest — le Cotentin et la moitié occidentale du département de l’Orne — appartient au massif armoricain, alors que l’Est relève lui du Bassin parisien.
La Haute-Normandie doit son nom à sa position sur la carte, et non pas à son relief. C’est en effet une immense plaine crayeuse, mais aux paysages variés: tantôt campagnes favorables à la grande culture (le lin surtout), tantôt herbages et gras pâturages6, où l’on élève les races de chevaux et de bovins les plus réputées en France.
Nettement moins étendue que sa voisine occidentale, la Haute-Normandie est pourtant plus peuplée qu’elle, et l’écart ne cesse de s’accroître. Elle bénéficie de la proximité et de l’influence de Paris et profite d’une décentralisation industrielle. Aux industries traditionnelles, textiles, industries alimentaires, se sont ajoutées des constructions électriques et mécaniques (automobile) et, surtout, un grand complexe pétroléochimique.
Si la Haute-Normandie est essentiellement urbanisée et industrialisée, la Basse-Normandie est surtout terre d’activité agricole. On y élève des bovins dans les petites exploitations du Cotentin et les embouches7 du pays d’Auge et du Bessin. L’exception se situe dans les plaines d’Alençon, de Falaise et de Caen, où la terre limoneuse donne d’excellentes récoltes de blé, de lin, de betterave à sucre et permet aussi l’élevage pour le lait et la viande. Le bocage8 est le paysage le plus répandu de toute la Normandie. Le pommier est l’arbre privilégié du pays; il est partout: dans les prés, dans les champs, le long des routes, autour des maisons. On en produit du calvados9 et une énorme quantité de cidre, dont le meilleur est celui du Pays d’Auge. La Normandie est le Pays des fromages par excellence10 (camembert, pont-l’évêque), avec de grands marchés agricoles.
La pêche anime Dieppe, Fécamp et Cherbourg, mais elle rapporte moins que le tourisme.
Le Mont-Saint-Michel
Il est, de par le monde, quelques rares constructions sorties de la main des hommes qui exerceront toujours sur leurs visiteurs une fascination particulière: l’Acropole d’Athènes, les Pyramides d’Egypte, le Taj Mahal d’Agra… C’est le cas aussi du Mont-Saint-Michel, le mont mystique par excellence, point de ralliement magnétique depuis le haut Moyen Age de foules en quête11 d’absolu. Posé sur le sable face aux éléments primordiaux, harcelé12 par le vent et les marées, il intrigue et rassure à la fois. Sa construction a été un véritable tour de force13. La «Merveille de l’Occident» est aussi l’un de ses plus puissants symboles.
Le Mont-Saint-Michel n’a jamais été autant visité. Bien que d’un accès relativement peu commode, il se classe au premier rang des «curiosités» de France (après les principaux monuments de Paris) quant au nombre de touristes accueillis. Toutes les nations du monde sont représentées mais les Européens sont tout de même en tête: Anglais, Italiens, Allemands, Hollandais, Espagnols… On visite surtout le Mont à la belle saison, mais il y a cependant de plus en plus de touristes pour assister à l’admirable spectacle du flux de la mer14 à l’époque des grandes marées. Bâti comme il est, tout en hauteur, le Mont-Saint-Michel est un lieu qui se mérite. Quand on arrive de loin, son apparition spectaculaire est déjà une récompense en soi. Mais même sans gravir à genoux les dernières marches de l’abbaye15, comme le faisaient jadis les pèlerins16, sa visite réclame un certain effort. Un tiers seulement des visiteurs grimpent jusqu’à l’Escalier de dentelle, jusqu’à la «Merveille» de la face nord et jusqu’à l’admirable cloître17 suspendu entre mer et ciel.
L’avant port de Paris, Rouen est un carrefour commercial, industriel et intellectuel de la région. Connue de ses traditions cotonnières18, la ville se prétend l’inventeur du jean. Rouen conserve de remarquables monuments: la cathédrale gothique du XIIe siècle, les églises St-Ouen et St-Maclou, le Gros-Horloge du XIV siècle etc. A ces anciens joyaux19 s’ajoute l’église de Ste-Jeanne-d’Arc érigée en 1979 en l’honneur de la grande héroïne de France qui a été brûlée à Rouen durant l’occupation anglaise.
Les Normands
Depuis la fin du VIIIe siècle, des hommes venus du Nord (les Normands), ou Vikings, comme ils s’appellent eux-mêmes, multiplient les raids en direction de l’Europe occidentale.
Les premières régions touchées sont les îles Britanniques: l’Irlande, puis la Grande-Bretagne, où les envahisseurs s’établissent définitivement, dans le Nord-Est, à partir du dernier quart du IXe siècle.
En Europe continentale, les restes de l’Empire carolingien22 sont touchés, après la mort de Charlemagne23. Vers la fin du IXe siècle, les Vikings sont maîtres de la Frise24. En 819, ils apparaissent sur la Loire, et, à partir de 835, ils soumettent les côtes françaises à des raids annuels. Entre 845 et 885-886, ils attaquent quatre fois Paris.
Rollon est un simple chef de guerre et un païen25: il a quitté son Danemark natal à la tête de soldats pour piller26 les côtes et les bords des fleuves de France. Après quelques années d’incursions27 saisonnières, il s’est établi à demeure28: depuis 890, il passe l’hiver avec ses hommes dans une base à l’embouchure de la Seine: et il lance chaque été de dévastatrices razzias29 dans l’intérieur du pays.
L’impossible résistance. Face à la calamité30 que représente le Normand, le roi Charles III31, dit «le Simple», n’a pas les moyens de résister. Dans les campagnes, les envahisseurs sont trop rapides pour qu’une résistance s’organise: leurs barques à rames ou à voiles remontent promptement le cours des fleuves, les chevaux qu’ils réquisitionnent32 leur permettent de mener leur action loin et vite à partir du point où ils abordent: «On ne voit partout qu’églises brûlées et gens massacrés. Les Normands font tout ce qu’ils veulent dans le royaume: il ne reste plus un arpent de blé de Blois à Senlis33: personne n’ose plus ni labourer ni cultiver ses terres […]. Si cette guerre continue, nous allons avoir la famine», disent les gens du temps.
Le traité. Dans ces conditions, le roi de France n’a d’autre choix que de négocier. Conformément à un usage très ancien, un accord matrimonial34 doit sceller35 l’arrangement politique: Charles offre sa fille en mariage à Rollon, qui l’accepte et promet même de se convertir au christianisme36 — ce qu’il fera effectivement peu de temps après le traité.
Plus délicat est l’arrangement territorial. Charles accepte de céder aux Normands une terre. La question est de savoir quelle sera la terre donnée: la région de la basse Seine, de l’Epte à la Bretagne, est jugée insuffisante par Rollon. Charles offre en surcroît37 la Flandre, que le Normand refuse avec dédain38, comme un mauvais pays, boueux et marécageux. En désespoir de cause39, le roi donne la Bretagne — sur laquelle il n’exerce, d’ailleurs, aucune autorité réelle.
Un jour de l’année 911, dans le village de Saint-Clair-sur-Epte, dans l’actuel Val-d’Oise, Charles III et Rollon concluent un traité. Ils fixent les limites d’une nouvelle principauté40 vassale du souverain français: le futur duché41 de Normandie.
Le rituel. Sur le fond42, les contractants semblent d’accord: pour les terres que le roi donne à Rollon, le Normand lui jure fidélité. L’accord prend la forme d’un serment que les parties prononcent devant une foule d’hommes libres qui servent de témoins. Mais la tradition veut que les mots prononcés s’accompagnent de gestes, qui concrétisent le statut inférieur du vassal par rapport à celui qui devient son suzerain: Rollon doit plier le genou devant Charles et lui baiser le pied. Il s’y refuse absolument. Un compromis est trouvé lorsque le Normand donne l’ordre à un de ses hommes d’accomplir, à sa place, le rituel exigé: le soldat s’approche de Charles III, incline le torse, plutôt que de s’agenouiller, prend le pied du roi et le lève si haut que le Français, dit-on, est déséquilibré et tombe.
Le duché normand. Vraie ou fausse, l’anecdote43 est révélatrice: au moment même où elle naît, la nouvelle principauté de Normandie refuse tout acte d’allégeance44 à la couronne française, pour laquelle elle deviendra, dans l’avenir, une rivale45 dangereuse.
Au XIe siècle, la conquête de l’Angleterre par le duc Guillaume, dit «le Bâtard» puis «le Conquérant» (1039-1087), transforme les ducs, vassaux du roi de France pour leurs biens continentaux, en souverains indépendants pour leurs possessions insulaires. Dotée d’un statut juridique spécial et de privilèges fiscaux46, la Normandie reste d’une fidélité incertaine vis-à-vis47 du pouvoir central. Au cours de la guerre de Cent Ans (1337-1453), les Anglais occupent à plusieurs reprises la région et favorisent son particularisme antifrançais. En 1450, cependant, la Normandie est définitivement récupérée. Sous Louis XI, en 1468, elle devient une partie inaliénable48 de la France.
Qué q’vous dites là ?
Après qu’en 911, la Normandie est devenue une partie du Royaume français les Normands se sont assimilés et ont oublié leur langue, mais certains de ses éléments ont pénétré dans le français ce qui a donné naissance au patois49 normand — à un langage particulier dont les spécificités sont toujours présentes chez les habitants de la Normandie.
Particularités du parler normand
Voyelles :
-eau > [jo] — morceau > morciau.
Diphtongues :
-oi > [e] — je vois > je vé. Tu dois… > Tu dés quarante sous au curé.
-oi > [E] — droit… > Tiens le bras en l’air, tout drait.
voilà > [vla]
-ui > [i] — puisque > pisque, puis > pis, lui > li. Et j’li coupai la tête d’un coup
Voyelles dénasalisées :
en > [e] (devant une consonne) — enfant > éfant
en avoir > n’avoir. Il a deux éfants, tu n’as trois, chacun les siens.
Consonnes :
s > [ш] (position initiale) Vous m’aviez pris chinquante écus.
ch > [k] — s’échapper > s’écaper. Vache > vaque.
j > [g] (position initiale) — jambe > gambe
r ne se prononce pas devant e muet — votre > [vot], autre > [ot]. Et d’vote part ?
Mère > mé, faire > fé, menteur > menteux, sur > su. V’là un d’vos cavaliers qui fumait sa pipe su mon fossé.
Pronom :
Elle > [al] (devant une voyelle), [a] (devant une consonne) — Qu’a sont grandes !
Il > [i] (devant une consonne) — I nous faut chent vingt francs.
Quelque > [kek] — C’est quéque voleux.
Ce > [sy] — Mé, j’ai ramassé sy portafeuille.
Que > [k] — C’est ben mé qu’t’appelles.
Qui > [k] (devant une voyelle) — V’là Victor qu’est tué, maintenant.
Mon (ton, son) > [mn…] (devant une voyelle) — m’n éfant
Article:
Une > [œn] — C’est eune dame.
Verbe:
Je suis > je [sjø] — J’sieus pas riche.
Je vais > je [va] — Je vas travailler pour té.
J’ai > j’ons, j’avons, j’sommes
Question:
Qu’est-ce que > [kek] — Qué q’vous dites là ?
Où est-ce que > [usk] — Ousque vous faites ça ?
La particule » -ti (-i) » se met après le verbe pour éviter l’inversion : C’est-i té, m’n éfant ? A va-ti où?
Les exemples sont tirés des nouvelles de Maupassant.
Résumette
La Normandie est une province historique de la France qui se trouve au bord de la mer du Nord et comprend deux régions administratives — la Basse et la Haute-Normandie. Les paysages sont variés : des plages et des arêtes, des prés, des champs et des bocages. L’industrie de la Haute-Normandie est bien développée. Les grandes villes de la région — le Havre et Rouen — sont des centres importants de la production textile, alimentaire, mécanique, chimique. L’agriculture de la Basse Normandie est très connue en Europe. Les meilleurs fromages français sont produits ici. Les lieux les plus «touristiques» de la province sont les belles falaises d’Etretat et le Mont-Saint-Michel. A son sommet se trouvent un monastère et une abbaye fondée au VIIIe siècle. Le Mont-Saint-Michel est un véritable chef-d’œuvre d’architecture où le style gothique s’harmonise au roman. La Normandie a donné à la littérature française beaucoup d’écrivains célèbres : Corneille, Flaubert et bien sûr Maupassant qui a chanté dans ses nouvelles la nature et les traditions de sa région natale. Au Moyen Age, la Normandie est le champ de bataille des Français contre les Vikings — les hommes qui sont venus du Nord (d’ou provient le nom des habitants de la province : Nord-Man — Normand). Le roi Charles III doit céder ses terres au nord et au nord-ouest de Paris aux envahisseurs. Le duché normand est toujours très fort et tout à fait indépendant du trône français. C’est seulement au XVe siècle que la Normandie devient définitivement une partie du territoire du Royaume. Pourtant, le parler régional est jusqu’à aujourd’hui peu fidèle à la norme de la langue française.
2 arête (f) — гребень, край
3 falaise (f) — прибрежная отвесная скала, утес
4 cossu — богатый, зажиточный
5 Guillaume le Conquérant — Гийом Завоеватель (1027-1087), герцог Нормандии (1035-1087) и Англии (1066-1087)
6 pâturage (m) — пастбище
7 embouche (f) — кормовой луг
8 bocage (m) — роща
9 calvados (m) — кальвадос (яблочная водка)
10 par excellence — преимущественно
11 en quête de — в поисках чего-л
12 harcelé — измученный, неотступно преследуемый
13 tour (m) de force — сложное дело
14 flux (m) de la mer — морской прилив
15 abbaye (f) — аббатство
16 pèlerin (m) — паломник, пилигрим
17 cloître (m) — монастырь
18 cotonnier — хлопчатобумажный
19 joyau (m) — сокровище, жемчужина
20 échancrer — делать выемку, вырезать полукругом
21 jetée (f) — мол, дамба, насыпь
22 carolingien — относящийся к эпохе правления династии Каролингов (VIII-IX вв)
23 Charlemagne — Карл Великий (742-814), король Франков и Император Запада
24 Frise — Фриза, историческая провинция на границе Голландии и Германии
25 païen (m) — язычник
26 piller — грабить
27 incursion (f) — набег
28 à demeure — безвыездно
29 razzia (f) — набег, налет
30 calamité (f) — бедствие
31 Charles III — Карл III (879-929), король Франции (898-923). Будучи свергнутым, провел последние годы жизни в тюрьме
32 réquisitionner — реквизировать
33 de Blois à Senlis — от Блуа (город на берегу Луары) до Сенлис (город к северу от Парижа)
34 accord (m) matrimonial — брачный договор
35 sceller — скреплять печатью
36 se convertir au christianisme — принять христианство
37 en surcroît — сверх того
38 avec dédain — с презрением
39 en désespoir de cause — с отчаяния, за неимением лучшего
40 principauté (f) — княжество
41 duché (m) — герцогство
42 sur le fond — по существу
43 anecdote (f) — забавная история
44 allégeance (f) — верноподданнические чувства
45 rivale (f) — соперница
46 fiscal — налоговый
47 vis-à-vis de — по отношению к
48 partie (f) inaliénable — неотчуждаемая часть
49 patois (m) — говор, местное наречие