Voltaire

Voltaire

François Marie Arouet de Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, comte de Fernay et de Tournay, l’un des Quarante, comme il se complaisait à se nommer, est pourtant d’une naissance modeste. Son père est notaire, ensuite employé de la Chambre des Comptes, et c’est pour cette raison que le futur grand écrivain et poète de France et né en 1694 dans le bâtiment de ladite Chambre sur l’île de la Cité où son père possédait un appartement. Et pourtant…

Je crains bien qu’en cherchant
de l’esprit et des traits
Le bâtard de Rochebrune
Ne fatigue et n’importune
Le successeur d’Armand
et les esprits bien faits.

«Le bâtard4 de Rochebrune», c’était lui-même, Voltaire. Il voulait être descendant d’un poète de talent, un chansonnier à la mode, un gentilhomme enfin. Le nouveau venu aux salons parisiens, sans naissance, sans fortune avait une formation distinguée5 de Collège de Louis le Grand. Epigrammes, beaux mots, vers coulaient de sa bouche sans jamais tarir6 sa source. La petite fille de Grand Condé7, la duchesse du Maine, esprit fin, plein d’intrigues l’invite à participer aux fêtes qu’elle donne dans son château de Meaux. C’est pour elle qu’en 1748 il a écrit le «Zadig». «Celui qui n’a pas vécu sous la Régence n’a jamais vécu», laisse échapper Voltaire dans ses «Mémoires». Voltaire vivait «comme tout le monde» : il a fait fortune aux spéculations, il a volé une fille d’une protestante réfugiée en Hollande qu’il aimait. Il avait de quoi avoir le vertige8… Arouet a proféré9 un mot fatal adressé au chevalier de Rohan dont la haute naissance allait de pair10 avec l’esprit médiocre et jaloux. Il a été battu par des laquais de Rohan. Offensé, Voltaire a envoyé ses seconds11 à l’hôtel des Rohan. Le chevalier s’est considéré diminué12 de croiser l’épée avec un fils de notaire et l’a fait embastiller13 pour 3 ans. A la sortie, Voltaire, jeune auteur à succès de la pièce «l’Oedipe» n’avait pas à choisir. Il lui fallait quitter la France. A ce moment, il fait le choix qui a décidera de son sort. Il part pour 4 ans en Angleterre où il se met à la lecture de Newton et de Collins, de Bolingbroke, de Locke, alors peu connus en France, fréquente les salons des intellectuels où la conversation roule autour des questions philosophiques, de la liberté et de la religion.

Сергей Викторович Занин
профессор кафедры Теории и истории права Университета Наяновой, кандидат исторических наук

A son retour en France en 1734, il a écrit ses «Lettres philosophiques» où il a décanté14 l’essence de ses réflexions. C’était le manifeste de la philosophie fondée sur expérience, critique sévère de la métaphysique cartésienne, sermon de la tolérance. Interdites en France, elles ont connu un succès fulgurant15 en Europe. Le poète Voltaire a ressuscité16 le drame français par «l’Oedipe», le philosophe Voltaire a ressuscité la philosophie française par ses «Lettres».

La rencontre avec la marquise du Châtelet, excellente connaisseuse de l’œuvre de Newton dont Voltaire a préparé la traduction française, a fait progresser ses propres études. Il rédige un livre consacré à la physique de Newton dont l’essentiel, le déisme philosophique est devenu sa propre vision du monde : notre univers est soumis aux lois mécaniques et fonctionne comme une horloge que l’Etre suprême, le «grand horloger» met en marche. Ainsi, on n’a plus besoin des dogmes, du culte ou des prophéties17 et le fanatisme est ridicule aux yeux de l’homme sensé18.

Aux études de l’œuvre de Newton a succédé l’influence des charmes de madame du Châtelet, que Voltaire a surnommée «la belle Emilie». Douze ans de séjour de Voltaire au château de Cirey, domaine de madame du Châtelet était l’époque de la création des tragédies «Zaïre» et «Brutus» et du succès foudroyant de «Fanatisme, ou le prophète Mahomet».

Voltaire ne s’arrête pas là, il se veut être grand historien et compose l’histoire des guerres de Charles XII, roi de Suède et aborde indirectement la première fois de sa longue vie, l’histoire de la Russie.

Le château de Cirey

Le bruit de ses talents commence à se répandre en France et partout en Europe ; ses puissants protecteurs séduits par ses vers, le font venir à la cour royale en 1741. Madame de Pompadour19, favorite du roi Louis XV, donne à Voltaire les marques de sa bienveillance. Il est anobli20, nommé l’historiographe de France, élu à l’Académie française. Il paraît que la France revêtit21 une splendeur de l’époque de Louis XIV dont l’histoire Voltaire compose à la fin des années 1740. Pourtant, ses propres prospérités n’étaient pas durables. Un mot imprudent prononcé lors d’un jeu de la reine de France22 où madame du Châtelet a perdu une grosse somme, coûte à Voltaire un ordre royal de quitter Paris à jamais.

La carrosse de la belle Emilie le conduit à Lunéville, un petit château en Lorraine, résidence du beau-père du roi de France, le roi de Pologne Stanislas Leszczynski (1677-1766). Chagriné par la mort subite de la marquise du Châtelet, Voltaire quitte Lunéville, cherche une demeure paisible, une compagne fidèle qu’il trouve enfin en madame Denis, sa nièce, jeune, aimable et joyeuse à laquelle le sexagénaire23 adresse des lettres pleines de tendresse et de la poésie. Quant à la demeure, le roi de Prusse, Frédéric II la lui offre. Qu’on n’attribue pas la chute de Voltaire à la cour de Potsdam à son esprit querelleur24 ! La cour du roi Frédéric était une vraie caserne à peine déguisée en temple d’Apollo. Voltaire était le témoin oculaire25 des préparatifs à la grande guerre de Sept ans qui ravagera l’Europe deux ans après son départ. L’auteur du » Siècle de Louis XIV » (1754) qui avait déclaré que la grandeur du royaume dépendait de la prospérité des sujets et du progrès de la culture pouvait-il se conformer26 à l’esprit belliqueux27 régnant à la cour prussienne ? Même si plus tard Voltaire était contraint d’écrire l’histoire des guerres (comme c’était le cas de «l’Histoire de la Russie sous Pierre le Grand» composée à la demande de la tsarine Elisabeth II), il ne se laissait pas être attiré par le vernis28 de la gloire militaire. La grandeur du tsar est d’avoir civilisé son peuple, d’avoir introduit en Russie les arts et les métiers jusqu’alors négligés.

Voltaire aime beaucoup la Suisse, il s’y installe. D’abord dans la petite propriété de Délices à Genève, ensuite dans le château de Ferney en France où il mène le train de vie d’un grand seigneur, bienfaisant et soucieux de ses intérêts, généreux à l’égard de ses paysans et accueillant à l’égard de ceux qui viennent vivre sous son patronage. C’est là la philosophie célèbre de Candide, héros d’un conte le plus connu de Voltaire. » Il faut cultiver notre jardin «, — tel est la sagesse de Candide et celle de Voltaire. La vie paisible et champêtre du château lui plaît et il compte y achever son existence terrestre et même commande la sépulture29 qu’il place dans l’enceinte de l’église de son village. Mais le désir de voir la mise en scène de sa dernière tragédie » Irène » à la Comédie française, l’emmène à Paris en 1778, malade, âgé de 84 ans où il meurt souffrant du cancer. On garde à Paris la maison où il habitait pendant 6 mois (aujourd’hui, 27 quai Voltaire).

On connaît au XVIIIe siècle plusieurs visages de Voltaire, poète de talent et dramaturge à succès, conteur à se faire écouter, l’auteur jaloux et journaliste mordant, courtisant et diplomate, spéculateur et marchand, bon seigneur de village. La postérité n’aurait retenu qu’un seul : le défenseur de la famille Calas. On connaît cette histoire du suicide de jeune protestant d’Orléans dont la famille a été imputée30 de son parricide31 à cause de ses prétendues sympathies catholiques. Le procès de la famille Calas exilée de la France à la perpétuité et son chef étant exécuté, reste un exemple de l’injustice régnant sous l’Ancien Régime. L’entremise32 de Voltaire grâce à laquelle la famille a été sauvée, son sermon de la tolérance ont bouleversé la France et laissé une impression durable sur toute la génération des futurs révolutionnaires. Ce n’est pas le grand poète et écrivain Voltaire qui gît au Panthéon, mais plutôt et surtout aux yeux de ses contemporains, le défenseur des Calas.

Résumette
Engagé dans les grands combats de son temps, Voltaire est un infatigable polygraphe, heureux en badinage comme en raillerie. Encombrée par les commandes d’une carrière courtisane et mondaine, son œuvre témoigne d’une irrépressible frénésie d’écrire et partage avec les philosophes des Lumières l’idéal de changer le monde en écrivant.

1 gentilhomme (m) ordinaire de la chambre du Roi — камер-юнкер королевского двора
2 les Quarante — члены Французской академии
3 se complaire à — находить удовольствие в чём-либо
4 bâtard (m) — внебрачный сын
5 distingué — изысканный
6 tarir — иссякать
7 le Grand Condé — подробно см. FRAN cité N 14
8 vertige (m) — головокружение
9 proférer — произнести, высказать, изречь
10 aller de pair avec — соответствовать
11 second (m) — секундант
12 se considérer diminué — счесть ниже своего достоинства
13 faire embastiller — упрятать в тюрьму
14 décanter — вносить ясность, разбираться
15 succès (m) fulgurant — головокружительный успех
16 ressusciter — возродить
17 prophètie (f) — пророчество
18 sensé — разумный, здравомыслящий
19 Madame de Pompadour — подробно см. FRAN cité N 23
20 être anobli — получить дворянский титул
21 revêtir — (зд.) приобретать
22 jeu (m) de la reine de France — придворная карточная игра в присутствии королевы
23 sexagénaire (m) — шестидесятилетний старик
24 querelleur — сварливый
25 témoin (m) oculaire — очевидец
26 se conformer à — приспосабливаться к чему-л
27 belliqueux — воинственный, агрессивный
28 vernis (m) — (зд.) лоск
29 sépulture — (зд.) надгробный памятник
30 imputer — вменять в вину
31 parricide (m) — (зд.) убийство
32 entremise (f) — вмешательство, посредничество

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