Un jour, une petite princesse allemande épousa un grand-duc, le futur tsar de Russie. Mais c’est elle qui prit possession du trône, elle que Diderot parait des vertus de César et de Cléopâtre tout à la fois, elle qu’on nomma la Sémiramis du Nord, et plus tard l’Impératrice rouge. Femme de tête, Catherine mania le sceptre avec une maîtrise tout autocratique. Quand s’éteignit la tsarine de toutes les Russies, son empire avait dépassé celui de Pierre le Grand.
Née le 2 mai 1729 à Stettin en Poméranie, la jeune princesse Sophie Augusta Fredericka d’Anhalt-Zerbst avait quinze ans lorsqu’elle arriva en Russie, mandée4 par la tsarine Elisabeth qui la fiança à son neveu Pierre de Holstein, héritier du trône. Jusqu’alors, la jeune fille n’avait voyagé qu’en Allemagne et son éducation «à la française» avait été confiée à des huguenots. Le 21 août 1745, elle épousa donc son cousin germain après que son baptême orthodoxe lui eut conféré le nom de Catherine. Tout éloignait les époux : l’un, mentalement et physiquement disgracié5, construisait son impopularité, affichant son luthéranisme et son goût pour la Prusse ; l’autre, au contraire, se montrait vive, intelligente et bonne patriote russe. Ses amants se succédèrent. En les choisissant parmi les nobles (Grigori Potemkine) et les officiers de la Garde (Grigori Orlov), elle s’assura des partisans puissants.
En décembre 1761, la tsarine Elisabeth mourut, et Pierre III lui succéda. Dès le 28 juin, sa faiblesse et son impopularité assurèrent le succès de la révolution de palais6 fomentée par Catherine. Quelques jours après le sacre de son épouse, Pierre III fut retrouvé étranglé7. L’ère de Catherine pouvait commencer.
En 1764, elle sécularisa8 les biens de l’Eglise et deux ans plus tard elle affirmait sa position de despote éclairé en rédigeant la Nakaz (Instruction), ouvrage économique et politique inspiré des Encyclopédistes français. Par les réformes qui suivirent, Catherine se transforma en tsarine des nobles. La réorganisation administrative de la Russie en 50 provinces (1775) assura le pouvoir à la noblesse de province et la Charte de la noblesse l’exempta9 de l’impôt et du service militaire tout en lui donnant un minimum de libertés civiles.
Catherine imprimait une activité nouvelle10 à l’agriculture et à l’industrie. La Russie devint le premier producteur mondial de fer, de fonte et de cuivre. Elle comptait plus de 200 usines, ateliers, manufactures. La production industrielle avait doublé ; la valeur du commerce intérieur et extérieur, triplé.
Catherine fit établir un canevas11 pour réformer les lois. En 1766, elle convoqua une commission législative. La paysannerie12 en espéra une amélioration de son statut. Ses espoirs déçus se transformèrent rapidement en sédition13. En septembre 1773, le paysan ukrainien Iémélian Ivanovitch Pougatchev (1742-1775) prit la tête de la révolte alors que les troupes étaient retenues aux frontières par la guerre avec les Turcs. Usurpant14 l’identité de Pierre III, il regroupa rapidement Cosaques, Bachkirs, Kirghizes et les serfs15 fugitifs auxquels il promit la liberté. L’insurrection devint jacquerie16. Après avoir pris Tcheliabinsk (février 1774) et Kazan (24 juillet), Pougatchev voulut assiéger Moscou pour atteindre Saint-Pétersbourg, mais Catherine II rappela son armée et le força à se replier17. Trahi en septembre contre une somme de 100 000 roubles, Pougatchev fut livré aux forces impériales dans une cage de fer. Après avoir été torturé, il fut décapité le 21 janvier 1775 à Moscou.
Désireuse de continuer l’œuvre de Pierre le Grand et utilement conseillée par Potemkine, Catherine se révéla un étonnant stratège et étendit ses frontières. En Pologne, elle installa Stanislas II Auguste Poniatowski, son ex-favori, à la tête d’un quasi-protectorat (1764) avant de participer aux partages18 successifs de son malheureux voisin (1772, 1793, 1795). Face à l’empire ottoman, elle parvint à réaliser le rêve de Pierre le Grand. Les reculs successifs des Turcs ouvrirent la mer Noire aux Russes (annexion de la Crimée en 1783) et leur permit d’ouvrir une base navale à Sébastopol (1784) et de créer un port de commerce à Odessa (1794).
Despote intransigeant19, Catherine II sut également faire figure20 de mécène. Entourée d’une cour d’artistes et d’hommes de lettres, elle manifesta des goûts éclectiques, favorisant russes et étrangers : le peintre Dimitri Levitski, le sculpteur Etienne Falconet (auteur de la statue équestre de Pierre le Grand), les architectes Antonio Rinaldi, Vallin de La Mothe (à qui l’on doit l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg), Charles Louis Clérisseau, Charles Cameron et Giacomo Quarenghi (auteurs du Palais Alexandre de Tsarskoïe Sélo), Mikhaïlo Vassiliévitch Lomonossov (qui fut nommé en 1764, Conseiller d’Etat), etc. Pour introduire la vaccination, elle montra l’exemple en étant la première à le faire. Elle réussit à convaincre le mathématicien Leonhard Euler de revenir de Berlin.
Elle se disait avant tout européenne, comme les philosophes des Lumières auxquels elle vouait une admiration particulière. C’est ainsi qu’elle racheta la bibliothèque de Diderot, tout en lui en laissant l’usufruit. Elle entretint une abondante correspondance avec le baron Grimm, Voltaire et d’Alembert. Elle se consacra à l’écriture et écrivit 27 pièces de théâtre.
De la petite princesse à la tsarine mythique, perverse et terrible, une grande figure de femme s’était imposée. Lorsque la mort la surprit, le 7 novembre 1796, la Russie était en passe de rentrer dans le concert européen des puissances et elle avait renforcé sa position diplomatique.
Résumette
Le règne de Catherine II a commencé dans des circonstances plutôt suspectes par le détrônement et l’assassinat de son mari. Elle a régné trente-trois ans sans qu’aucune tentative ait été faite pour la renverser. Ce n’est pourtant pas que son gouvernement a été parfait : le favoritisme est devenu, sous elle, une sorte d’institution d’Etat. Mais il s’est trouvé que ce favoritisme même a contribué à affermir la Russie ; que les favoris ont été des gens de tête et d’action. Mais les causes principales qui ont permis à l’impératrice de régner ont été d’abord la sécurité qu’elle a donnée à tous et ensuite, et surtout, les succès de sa politique extérieure.
1 parer des vertus – приписывать кому-л добродетели
2 femme (f) de tête – умная женщина с сильным характером
3 manier le sceptre – (зд.) управлять государством
4 mander qqn – вызвать к себе кого-л
5 mentalement et physiquement disgracié – обделённый умом и здоровьем
6 révolution (f) de palais – дворцовый переворот
7 étrangler – задушить
8 séculariser – вывести из-под церковного влияния
9 exempter – освобождать, избавлять
10 imprimer une activité nouvelle à – (зд. перен.) оживить
11 canevas (m) – план
12 paysannerie (f) – крестьянство
13 sédition (f) – бунт, мятеж
14 usurper – присвоить
15 serf (m) – крепостной
16 jacquerie (f) – крестьянское восстание
17 se replier – отступать
18 partage (m) – делёж
19 intransigeant – бескомпромиссный
20 faire figure de – выступать в какой-либо роли